[Retour sur] La 8ème édition du World Material Forum (WMF)

 
Publié le 21/06/2022

Nancy a accueilli la 8ème édition du Forum mondial des matériaux du 16 au 18 juin. Ces trois jours d’échanges sur les enjeux liés aux matériaux ont réuni près de 200 industriels, économistes et chercheurs avec comme fil rouge «de grands défis à relever : agir en dehors des sentiers battus ». Entretien avec Philippe Varin, président du Forum mondial des matériaux de Nancy.

Quel est l’état actuel des matériaux dans le monde ?

Philippe Varin : « Au cours de cette édition, nous allons mesurer les tensions critiques entre offre et demande des matériaux. Ce que le monde politique n’a pas réalisé, c’est que l’on va extraire de la planète durant les trente prochaines années autant que depuis le début de l’humanité. Cela est dû à la démographie, à l’urbanisation, à l’augmentation du niveau de vie, mais aussi aux investissements massifs qu’il va falloir faire sur les infrastructures pour accompagner la transition écologique. Produire une voiture électrique va consommer six fois plus de matière qu’une voiture thermique. La croissance de la demande de matériaux va donc être explosive. La demande en nickel va donc être multipliée par trois sur dix ans, celle du lithium ou des terres rares par quatre… C’est une augmentation jamais vue dans le passé ! »

Quels sont les messages que le Forum mondial des matériaux a fait passer cette année ?

Philippe Varin : « Il y en a trois. Tout d’abord, il faut aller très vite ! Nous avons un point de passage en 2030 sur le CO2 avec un objectif de zéro émission en 2050 en Europe. Il faut qu’on accélère notre innovation. C’est pour cela qu’au Forum, nous avons eu des start-up du monde entier. Le second message est la responsabilité ! On parle de mines responsables et de processus responsale tout au long de la chaine de production. Responsable veut dire qu’on est capable de démontrer qu’on peut aujourd’hui opérer selon les meilleurs standards mondiaux sur le plan de l’environnement des émissions de CO2, de la biodiversité ou sur le plan de l’éthique. Responsable est la condition nécessaire pour ouvrir de nouvelles installations ! Le nouveau consommateur voudra une traçabilité de son produit jusqu’à la mine. D’ailleurs, dans le nouveau règlement européen sur la batterie qui va sortir cette année, il y aura un label CO2 sur la batterie, comme le label de consommation sur votre machine à laver. En Europe, enfin il faudra qu’on rentre les mines dans la taxonomie qui classe les bons investissements sinon il n’y aura pas d’investisseurs. Le troisième message est qu’on a besoin d’investissements colossaux dans les dix ans qui viennent ! Il y a un énorme enjeu de « dérisquer » ces investissements. Les gouvernements doivent un rôle de soutien. »

Le design écologique est une notion essentielle pour vous. Expliquez-nous.

Philippe Varin : « C’est mon dernier message : l’éco-design, qui facilitera le recyclage, doit être prévu dès la conception des nouveaux procédés de production, par exemple pour les batteries. Les smartphones par exemple n’ont pas été dessinés pour être recyclés… Tout le monde consomme aujourd’hui du digital sans recycler. Les prises uniques qui vont bientôt être obligatoires pour les smartphones, sont un bon exemple. Dans le domaine des batteries, on n'aura pas de ressources secondaires pendant un certain temps, puisqu’une batterie sera dans une voiture pendant sept ou huit ans. Mais à la fin, il faudra garantir qu’une batterie refera de la batterie ! Il faut donc que l’éco-design soit intégré dès le début. »

L'engagement des laboratoires lorrains pour la transition écologique 

À l’Institut Jean Lamour, de nombreux travaux de recherche sont engagés dans cette voie notamment, Thierry Belmonte et Frédéric Brochard qui travaillent sur un projet de plateforme de recherche en physique des plasmas en champ magnétique dont le but est de produire en 2030 de l’énergie thermonucléaire sûre et décarbonée.

L’enseignant- chercheur Stéphane Mangin, membre du comité d’organisation du WMF, actuellement outre-Manche ainsi que ses collègues de l’équipe Spintronique (SPIN)  à l’institut Jean Lamour travaillent sur le stockage de l’information et comment consommer moins d’énergie. Ils ont développé des projets de recherches utilisant  des lasers ultrarapides pour stocker ces informations bien plus vite en dépensant dix fois moins d’énergie.

« On a qu’une seule planète, il faut la protéger et trouver les nouveaux matériaux qui assureront cette transition énergétique », poursuit-il.

Comme l’a présenté Eric Fullerton (Professeur à UC- San Diego et Doctor Honoris Causa de l’Université de Lorraine), la spintronique est une technologie de rupture qui pourrait permettre de gérer l’accroissement des données dans le numérique tout en limitant les dommages sur l’environnement. Sur cette thématique L’IJL avec une quarataine de Laboratoires soutenus par le CEA et le CNRS ont déposé un «  Programmes et Équipements Prioritaires de Recherche » exploratoire SPIN auprés de l’ANR afin de développer cette technologique. C’est un enjeu de taille que l’Université de Lorraine partage avec l’Université de Tohoku, au Japon. Mais le plus compliqué est l’intégration des matériaux magnétiques de la spintronique sur les lignes de fabrication des semi-conducteurs comme le précise Victoire de Margerie, fondatrice et vice-présidente du WMF. 

Le chercheur Baptiste Sirjean et son équipe, du laboratoire LRGP (Laboratoire Réactions et Génie des Procédés) travaillent quant à eux sur les biocarburants, avenir dans la lutte contre les émissions de CO2. Ils étudient en quoi l’ajout de biocarburants provoque une diminution des émissions de CO2 mais qui peut entrainer l’apparition de nouveaux types de polluants.

En savoir plus :

World Material Forum : https://worldmaterialsforum.com/home.html

Institut Jean Lamour : https://ijl.univ-lorraine.fr

L’équipe SPIN : https://spin.ijl.cnrs.fr

Source : Est Républicain