La liaison chalcogène : un outil d’ingénierie cristalline ?

 
Publié le 24/02/2022 - Mis à jour le 2/05/2023

Les interactions entre molécules comme la liaison hydrogène, omniprésente dans le vivant, peuvent être manipulées pour contrôler l’orientation relative de molécules dans des cristaux, et en particulier l’association de deux molécules différentes dans un co-cristal. Des chercheurs du CRM2 (CNRS/Université de Lorraine) en collaboration entre l’ISCR (CNRS/ENSCR/Université Rennes 1), ont démontré qu’une autre interaction intermoléculaire faible, appelée liaison chalcogène, pouvait organiser dans un cristal des molécules réactives de façon si précise qu’un simple chauffage permet leur polymérisation contrôlée, dans une rare réaction dite topochimique. Une avancée dans ce domaine de l’ingénierie cristalline, à retrouver dans la revue Angewandte Chemie.

Les interactions intermoléculaires comme la liaison hydrogène, de par leur force et leur prédictibilité, sont couramment utilisées comme outil d’ingénierie cristalline pour contrôler non seulement l’organisation supramoléculaire, mais aussi la réactivité de cristaux moléculaires.  Ces interactions jouent un rôle crucial en chimie du vivant, comme dans la mise en œuvre de principes pharmaceutiques, mais aussi en science des matériaux pour influer sur les propriétés mécaniques, optiques, électriques, magnétiques de solides cristallins.   Ces dernières années, une autre famille d’interactions, dites interactions sigma-hole, ont été mises en avant comme outil de contrôle et d’organisation de systèmes supramoléculaires en solution, mais aussi, et surtout, à l’état solide cristallin dans des co-cristaux.  Ces interactions sont basées sur la polarisation anisotrope du nuage électronique d’halogènes (I, Br) ou de chalcogènes (Te, Se), qui génère une zone électropositive dans le prolongement de la ou des liaisons covalentes portées par ces atomes. Cette zone électropositive peut interagir avec d’autres zones électronégatives, comme le fait un hydrogène dans la liaison hydrogène, conduisant à des motifs d’association récurrents à l’état solide.

 
Des chercheurs de l’Institut des sciences chimiques de Rennes (CNRS/Université de Rennes1/ENSC Rennes/INSA Rennes), en collaboration avec le Laboratoire de Cristallographie, résonance magnétique et modélisations (CNRS/Université de Lorraine) à Nancy, ont démontré récemment que l’activation d’un atome de sélénium ou de tellure par des groupements électroattracteurs conduisait à des co-cristaux où cette liaison chalcogène s’exprimait pleinement. Cet outil d’ingénierie cristalline a été mis en œuvre pour réaliser des réactions topochimiques, c’est-à-dire de la chimie organique dans un cristal, et non en solution comme habituellement. Plus précisément, des molécules de diacétylene portant des fonctions sélénocyanates ont été associées par liaison chalcogène avec des pyridines dans un co-cristal. La géométrie imposée par ces interactions est si précise qu’elle permet la polymérisation du diacétylène à l’état solide sous chauffage modéré (100 °C), et l’élimination combinée de la pyridine par sublimation. La conductivité du polymère ainsi généré, un polydiacétylène, augmente de plus de 8 ordres de grandeur après dopage oxydant. Les polydiacétylènes présentent un grand intérêt comme capteurs chimiques, pour l’électronique organique ou en optique non linéaire. Ces travaux, menés dans le cadre du projet ANR SIGMA-HOLE entre les deux groupes rennais et nancéiens, sont publiés dans la revue Angewandte Chemie.
 

Référence

Topochemical Polymerization of a Diacetylene in a Chalcogen-Bonded (ChB) Assembly Arun Dhaka, Ie-Rang Jeon, Olivier Jeannin, Emmanuel Aubert, Enrique Espinosa, Marc Fourmigué Angew Chem. Int. Ed, 2022, (Hot Paper)

https://doi.org/10.1002/anie.202116650