[Portrait] Carole Bisenius-Penin : Dispositif résidentiel, médiations culturelles et territoires

 
Publié le 19/11/2021 - Mis à jour le 5/05/2023

Carole Bisenius-Penin est maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches en Littérature contemporaine à l’Université de Lorraine et membre du Crem. Chevalier des Arts et des Lettres, elle dirige depuis 2016 divers laboratoires hors les murs et une résidence d’auteurs en France et à l’étranger.

Quel est votre parcours ?

Incontestablement hybride, toujours à la frontière, à la marge. Un double cursus en littérature avec des classes préparatoires littéraires au lycée Georges de La Tour à Metz, suivi d’une formation en littérature comparée à l’Université de Metz et de Nancy, tout en passant de nombreuses heures en école de danse. La même année, j’ai obtenu mes concours de l’éducation nationale et un examen d’aptitude technique (option Modern’jazz) au Centre Nationale de la Danse de Lyon. Ce parcours relativement exigeant physiquement et intellectuellement m’a amené à réfléchir à la notion de contrainte dans les processus de création. J’ai ainsi entamé une thèse (Université du Mans) sur la littérature à contraintes et l’Ouvroir de Littérature Potentielle (Oulipo) à partir des productions romanesques de ce groupe crée en 1960 associant des écrivains (R. Queneau, G. Perec, I. Calvino, J. Roubaud) et des mathématiciens (F. Le Lionnais, C. Berge, M. Audin). J’ai été recruté comme maître de conférences en 2010 à l’Université de Lorraine à l’UFR Arts, Lettres et Langues.

À la manière du rhizome, chère à la poétique de l’écrivain Édouard Glissant, racine souterraine pensée par Gilles Deleuze et Félix Guattari s'étendant à la rencontre d'autres racines, mon parcours de recherche, depuis l’obtention de ma thèse, articule trois ramifications distinctes, néanmoins reliées entre elles, en une continuité logique.

D’abord, la poétique oulipienne et post-oulipienne, qui m’a permis de conduire plusieurs études empruntées à la sémiotique comparée, sur les contraintes combinatoires et génériques qui sous-tendent les factures oulipiennes. Ce champ d’exploration fécond offrant une vision productive de la contrainte, perçue comme programme générateur d’écriture, stimulant également et en retour la lecture, m’a permis de participer à l’ANR « DifdePo : Différences de potentiel. Histoire, poétique et esthétique de l’Oulipo » (UMR 7172 Thalim-Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, 2013-2015).

Cet attrait pour les contraintes a donné lieu ensuite à l’exploration d’un nouveau chantier, une seconde ramification centrée sur l’atelier d’écriture et la recherche-création découverte au Québec afin d’interroger la place et la fonction de l’écriture littéraire dans un cursus universitaire ou dans d’autres lieux culturels (Centre Pompidou-Metz, 2016). Croisant pratique (enseignement de la création littéraire à l’université) et théorie, je participe depuis 2019 au projet « Écriture créative en formations : enjeux épistémologiques et méthodologie de recherche (ECF) » soutenu par l’Initiative d’excellence Paris // Seine et j’interviens sur ce domaine en tant qu’experte internationale pour Le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FRSC).

Enfin, si la question de l’accès à la culture a toujours irrigué mon questionnement de chercheur, ma pratique pédagogique (ateliers de pratiques culturelles, atelier d’écriture) et mes convictions citoyennes au sein de l’établissement, je peux dire qu’à partir de 2013, sous l’impulsion particulièrement dynamique et bienveillante du Crem, une nouvelle ramification (médiations culturelles et de résidence d’auteurs) affleure à la surface. Une racine adventive prenant naissance sur une tige souterraine, à l’épreuve du terrain et à la croisée des sciences de l’information et de la communication, de la géographie et des études littéraires (sociologie de la littérature, géocritique). Dans la lignée des travaux en SIC (J. Davallon, J. Caune, M.-C. Bordeaux) articulant pratique sociale et stratégie communicationnelle, l’enjeu est de montrer comment le dispositif résidentiel apparaît comme une forme de médiation qui met en jeu un processus de transformation favorisant la mise en place de liens entre écrivains, habitants et opérateurs culturels.

À cela s’ajoute un investissement fort dans le collectif et l’encadrement, avec des responsabilités scientifiques multiples au sein de mon laboratoire (Co-responsable de l’équipe Praxitèle « Arts, cultures et médiations », 2015-2019, responsable de plusieurs laboratoires hors les murs depuis 2016) et de l’université (Responsable de l’Axe 2 « Création, Culture, Patrimoine » de la MSH Lorraine, 2015-2017).

Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?

Depuis plus de 5 ans, je mène des travaux sur les médiations culturelles et patrimoniales, tout en poursuivant mes investigations sur le dispositif résidentiel avec plusieurs contrats de recherche, diverses publications (2016, Résidence d’auteurs, création littéraire et médiations culturelles (2) : Territoires et publics, Nancy, PUN-Éditions universitaires de Lorraine, coll. « Questions de communication Série Actes »), ou encore la direction d’un numéro de revue (2018, « Les Résidences d’écrivains et d’artistes : des dispositifs de création et de médiation », Culture & Musées, 31.). J’ai développé différents laboratoires « hors-les-murs » du Crem en France et au Canada, pouvant être définis comme des dispositifs proposant la mise en place de programmes scientifiques dans des lieux culturels externes à l'unité. Ces formes mobiles de la recherche, en interaction avec le terrain, découlent d’un engagement original dans la relation science/société. Mon approche scientifique et partenariale s’avère multiscalaire, c’est-à-dire construite sur diverses strates territoriales, en fonction de la spécificité des objets et des projets menés.

  • Un axe international : depuis 2017 des recherches portant sur le dispositif résidentiel, les arts littéraires, la littérature contextuelle, l’éducation artistique (Laboratoire hors les murs Crem-Maison de la littérature de Québec). Par exemple, le Projet Créalit, (résidences croisées arts littéraires), en collaboration avec la ville de Metz et de Québec (2019-2021), qui a été lauréat du Fonds franco-québécois pour la coopération décentralisée (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Ministère des Relations internationales et de la Francophonie).
  • Un axe transfrontalier : études sur la résidence d’auteurs nomade (Projet Noé-Noah/Un réseau partagé de reconnexions écologiques innovantes et citoyennes en Grande Région, INTERREG V, 2018-2021), mais aussi la mise en place d’un Observatoire du milieu littéraire franco-luxembourgeois (Obslit, 2018-2021) financé par la Drac Grand Est et l’Université du Luxembourg. Enfin, je gère en collaboration avec le laboratoire Loterr, le « Prix littéraire Frontières-Léonora Miano » (Université de Lorraine, Université de la Grande Région) associant de nombreux professionnels du monde du livre et de la culture (2021), autour des médiations culturelles et de la communication interculturelle.
  • Un axe national : analyses explorant la manière dont les auteurs, les institutions culturelles et les publics interagissent au sein des lieux résidentiels. Actuellement trois programmes en cours : le dispositif Récit’Chazelles depuis 2015 associant le département de la Moselle (Maison de Robert Schuman), une municipalité (ville de Scy-Chazelles), la Drac Grand Est et la Région Grand Est, mais aussi « RésiLabCultE : Résidence, Laboratoire, Culture et Éducation » est une recherche issu du laboratoire mobile (Crem-Inspé de Lorraine) croisant éducation artistique et culturelle (EAC) et dispositif résidentiel, afin d’étudier les enjeux de la littérature à l’école, de la médiation à la transmission selon les territoires (villes 100 % EAC). Enfin, le laboratoire hors-les-murs mise en place à la Marelle-Villa des auteurs à Marseille (2020) qui est dédié notamment à la résidence d’auteurs numérique.

Quels sont vos projets ?

Venant tout juste de soutenir mon habilitation à diriger des recherches, j’avoue avoir des difficultés à me projeter actuellement. Cependant, à partir des travaux que j’ai pu effectuer sur les médiations culturelles et patrimoniales (maisons d’écrivain, promenade littéraire, expositions de la littérature...), je souhaiterais continuer à développer cet axe. Suite à l’invitation d’un collègue belge David Martens (KU Leuven), j’ai depuis peu intégré le réseau « Patrimonialité » nouvellement mis en place qui, prenant la mesure de ces relations croisées entre la littérature et le patrimoine, se donne pour objectif de fédérer les chercheuses et chercheurs actifs dans ce domaine en privilégiant une perspective interdisciplinaire (histoire du livre et des médias, sciences de l’information et de la communication, muséologie...). J’aurai le plaisir en juin 2022 de faire la Conférence d’ouverture portant sur les formes de médiations de la littérature du Colloque de Cerisy intitulé « Les littératures exposées. Des premières maisons d’écrivains aux expositions numériques ».

En tant que membre de l’Observatoire des médiations culturelles (Omec, Montréal), qui a pour objectif de contribuer à l’avancement des connaissances relatives aux pratiques de médiation culturelle et à leurs enjeux sociopolitiques, j’entends poursuivre au sein de l’équipe Topos (médiation culturelle et territoires géographiques) des travaux avec Louis Jacob et Eva Quintas, notamment l’organisation d’un colloque international en 2022.

Pour finir, ayant toujours la volonté de m’aventurer à la frontière entre recherche et création (documentaire, plateformes numériques...), j’expérimente depuis peu une autre forme, celle de la web-série en lien avec mon laboratoire mobile. Le tournage commence dans un mois à Cannes (ville 100 % EAC). Il s’agit également de questionner les possibilités de narrer d’une autre façon les recherches scientifiques à partir de cet objet éditorial, à la croisée des médias de masse et de la technologie numérique, de la série télévisée et du court métrage.