L’Institut Jean Lamour (IJL) est un laboratoire de recherche fondamentale et appliquée en science des matériaux. Unité mixte (UMR 7198) du CNRS et de l’Université de Lorraine, il est rattaché à l’Institut de Chimie du CNRS. Laboratoire multi-thématique, il couvre les matériaux, la métallurgie, les nanosciences, les plasmas, les surfaces et l’électronique en réponse aux enjeux sociétaux que sont : l'énergie, l'environnement, l'industrie du futur, la mobilité, la préservation des ressources et la santé. Parmi les 25 équipes de Recherche de l’IJL, une est basée à Epinal et s’intéresse particulièrement à des matériaux bien particuliers, ceux issus de la Bioressource. L’équipe Matériaux Bio-Sourcés dirigée par Vanessa Fierro (DR CNRS) s’est spécialisée dans la conception et la caractérisation de nouveaux matériaux poreux (mousses, gels, poudres…) issus des végétaux (polyphénols, polysaccharides, protéines…). Un des objectifs majeurs est de produire des carbones fonctionnels (par exemple à partir de tanins) pour différentes applications. La maîtrise de la chimie et de la porosité permet en effet de cibler des fonctionnalités précises pour telle ou telle application : stockage énergétique, stockage de gaz, dépollution, catalyse, isolation thermique…
Le domaine des supercondensateurs (SC) illustre bien le succès des approches développées par l’équipe de l’IJL. L’utilisation de ces objets technologiques permettant notamment de récupérer ou stocker l’énergie (en substitution ou complément d’une batterie) croît fortement avec le déploiement des véhicules électriques mais aussi l’avènement des objets connectés. Les électrodes de SC sont habituellement à base de carbone poreux. L’équipe de l’Institut Jean Lamour en collaboration avec deux laboratoires espagnols, l’Institut de Carbochimie à Saragosse et l’Institut du Carbone à Oviedo a démontré que des matériaux carbonés dérivés de tanins de Mimosa constituent une alternative rapide, peu coûteuse et respectueuse de l’environnement. Le travail a de plus permis d’identifier les avantages comparatifs des structures ordonnées ou désordonnées de la porosité sur la diffusion des électrolytes. Ces travaux font l’objet d’un article en cours de publication dans la revue « Renewable and Sustainable Energy Reviews ». Pour nous en parler, rencontre avec Vanessa Fierro, Directrice de Recherche CNRS et responsable de l'équipe "Matériaux bio-sourcés" de l'Institut Jean Lamour.
- En quoi vos travaux sur les électrodes des SC sont innovants et quelles pourraient être les applications ?
Ces électrodes sont innovantes parce que la matière première est le tanin, une molécule polyphénolique d’origine végétale et que nous n’utilisons pas de formaldéhyde pour les synthétiser. Traditionnellement ce type d’électrodes est produit à partir de résorcinol et de formaldéhyde, deux molécules d’origine pétrochimique. Nous utilisons des tanins extraits de l’écorce de mimosa pour produire des matériaux carbonés avec une structure ordonnée ou désordonnée à base de pores d’environ 5nm (mésopores) qui donnent accès à des pores d’un diamètre inférieur à 2nm (micropores), responsables de leur grande surface spécifique. Avec ces matériaux, nous avons réussi à avoir des performances équivalentes, voire meilleures, que celles des électrodes de SC d’origine pétrochimique.
Ces matériaux micro- mésoporeux peuvent être utilisés dans la séparation sélective d’hydrocarbures linéaires ou ramifiés, en se comportant comme de véritables tamis moléculaires. Nous les avons aussi utilisés dans l’adsorption et la détection de molécules toxiques même en présence d’humidité avec des résultats exceptionnels. Par exemple, nous avons été capables de détecter des composés organiques volatils à des concentrations de l’ordre du ppb (parties par billon) même en présence de 60% d’humidité relative.
- Pourquoi votre équipe s’est-elle spécialisée dans les matériaux biosourcés ?
J’ai commencé ma carrière dans la combustion de charbons pulvérisés, puis j’ai travaillé dans le craquage de fractions pétrolières à l’IFPEN. Progressivement, j’ai augmenté dans mes recherches le pourcentage de matériaux biosourcés et de matériaux synthétisés avec les principes de la chimie verte. Avant d’entrer au CNRS, j’ai coordonné un réseau Européen sur la production de matériaux carbonés à partir de lignine, le projet LIGNOCARB, dont j’ai ramené la coordination en France lorsque j’ai été recrutée en tant que chargée de recherches de 1ère classe. Ce changement vers les matériaux biosourcés, qui est dans l’air du temps maintenant, je l’ai initié il y a 20 ans avec la ferme conviction qu’on ne peut pas continuer à produire de l’énergie et à faire des matériaux uniquement basés sur les ressources pétrolières, donc limités, polluants et sans les ressources nécessaires en Europe. Faire des matériaux biosourcés a aussi un intérêt stratégique qui nous fera moins dépendants des ressources qui ne sont pas produites en France. De plus, mon équipe est hébergée par l’ENSTIB, l’Ecole Nationale Supérieure des Technologies et Industries de Bois. Lorsqu’Alain Celzard, membre fondateur de l’équipe, y a été nommé Professeur en 2005, la mission était de développer une recherche en relation avec son environnement pédagogique et industriel. On peut dire maintenant que nous avons relevé le défi avec brio, mission accomplie!
- Pouvez-vous nous présenter rapidement des travaux à venir en lien avec des applications ?
Je travaille sur le stockage de l’hydrogène depuis mon entrée au CNRS, il y a 15 ans. Cette recherche qui était initialement centrée sur l’adsorption d’hydrogène sur les charbons actifs à évolué avec l’utilisation d’autres matériaux poreux, la modélisation de l’adsorption et la compression de l’hydrogène par adsorption-désorption entraînée par la température. Ce sont des recherches que nous avons commencées sur fonds propres, mais qui sont maintenant largement reconnues. Notamment, nous collaborons avec AIRBUS sur le stockage d’hydrogène dans le futur avion alimenté par ce vecteur énergétique désormais très en vogue, et à juste raison.
En lien aussi avec l’énergie, nous travaillons sur d’autres types d’électrodes qui sont utilisées dans les piles à combustible ou dans les électrolyseurs. L’objectif ici est d’utiliser des matériaux biosourcés pour produire les matériaux carbonés mais aussi d’utiliser des métaux communs comme le fer ou le nickel en substitution de métaux rares, et très chers, comme le platine ou l’iridium.
Une autre thématique liée à l’énergie mais aussi à l’environnement, est l’utilisation de l’évaporation passive de l’eau pour sa purification. Nous développons des structures 3D à base de matériaux biosourcés qui concentrent les rayons solaires et peuvent être utilisés pour le traitement des eaux saumâtres ou des eaux usées domestiques, permettant ainsi de réutiliser l’eau dans les sanitaires ou en arrosage.
Finalement, nous avons établi un partenariat fort avec le Groupe Bordet, producteur du premier charbon actif avec la certification AB (Agriculture Biologique) en France. Nous collaborons avec eux dans le développement de nouveaux matériaux carbonés pour plusieurs applications, liées à l’énergie et à l’environnement, à partir de bois produits en France.