Science & You célèbre la diffusion des sciences sous toutes leurs formes et auprès de tous les publics - professionnel·les, amateur·rices et publics éloignés - avec une conviction : comprendre comment fonctionnent les sciences est essentiel pour vivre en société et participer aux prises de décision. Mais parfois, la relation sciences-société est cassée. Malgré toutes les explications disponibles, certaines personnes préfèrent créer leurs propres vérités, qu’ils et elles opposent à un hypothétique “discours dominant”.
Pour en savoir plus sur ces personnes, nous avons échangé avec une chercheuse et un chercheur qui apportent un éclairage très actuel sur le rapport à la science.
Pauline Hervois, post-doctorante de l’Université de Lorraine, mène dans le cadre de Science & You l’analyse du sondage “Les Français et la science 2020”.
Avant toute chose, il faut garder en tête que le sentiment de confiance vis-à-vis de la science ne diminue pas. Les chiffres de notre étude “Les Français et la science”, réalisée en 2020, montrent des taux de confiance dans la science et les scientifiques très proches des chiffres de 2011. En temps de crise, la confiance se réoriente vers les expert·es du domaine en question : 83% des personnes interrogées ont déclaré faire confiance aux scientifiques ou aux universitaires “pour dire la vérité sur le coronavirus” - ce chiffre monte même à 92% pour les médecins !
Cependant, nous avons aussi constaté que cette confiance n’empêche pas un sentiment de confusion lorsque les priorités des pouvoirs publics changent rapidement, comme lors de l’épisode des masques qui étaient d’abord présentés comme inutiles, puis comme indispensables.
Richard Emmanuel Eastes, Professeur agrégé de chimie, docteur en philosophie des sciences et en sciences de l’éducation, fondateur du Groupe Traces, est consultant en communication scientifique et ingénierie cognitive mais également chercheur associé au STS à l’Université de Lausanne. Dans le cadre de Science & You, il s’intéresse au conspirationnisme.
Un peu comme tout le monde, j’ai commencé par considérer qu’adhérer à des thèses conspirationnistes devait être une question de culture scientifique : on devait être conspirationniste parce qu’on manquait de connaissances. Sauf que, parmi les tenant des thèses conspirationnistes ou climatosceptiques, on trouve parfois des scientifiques.
Dans l’article “Understanding Conspiracy Theories” paru dans la revue Political Psychology en 2019, Karen M. Douglas et al. invoquent 3 leviers psycho-sociaux pour expliquer le conspirationnisme :
- Le levier existentiel, qui provient du sentiment d’incertitude. Le conspirationnisme est une manière de répondre à la perte de sens : il recrée des certitudes face à la complexité du monde.
- Le levier épistémique, qui répond aux situations complexes que sont les pandémies ou les crises. Le conspirationnisme émerge dans des situations qui provoquent un sentiment de perte de contrôle.
- Et enfin, le plus fort, le levier social, provient d’une impression de déclassement, social comme intellectuel. Face à un sentiment d’inégalité, adhérer à des thèses conspirationnistes permet de reprendre le contrôle, de renforcer son autorité.
En imaginant une pensée dominante qui leur permet de se positionner “contre” les élites et les institutions, les thèses conspirationnistes font du processus scientifique une croyance comme une autre, défendue par les scientifiques parce qu'ils y trouveraient un intérêt.
Les leviers de la rhétorique conspirationniste sont complexes mais on peut donc les résumer à deux dimensions principales qui, lorsqu’elles sont croisées, ont toutes les chances de conduire à une pensée complotiste :
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Le manque de culture épistémologique, de culture « de » science : non pas celle qui consiste à savoir que les atomes existent, mais comment cette connaissance a été établie, c’est-à-dire les rouages de la recherche qui ont amené à ces conclusions scientifiques.
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Le sentiment d’exclusion, qui ne sera jamais réparé par l’exposition à une culture scientifique militante, promotrice de l'« esprit critique ». Défendre cette idée ou se concentrer uniquement sur les biais cognitifs, c’est faire fi de la dimension sociale du complotisme, des rapports de pouvoir qui s’exercent autour de la connaissance. Bref, c’est ne rien comprendre au complotisme.
Du reste, de quoi parle-t-on lorsque l’on invoque l'esprit critique ? Les conspirationnistes aussi se réclament de l’esprit critique. Ils ne posent d’ailleurs pas toujours de mauvaises questions. Ils y répondent simplement à l’envers en antéposant leurs thèses et en recherchant les faits susceptibles de la renforcer. Il n’y a pas « un » esprit critique, mais des esprits critiques tels que vécus par chaque communauté qu’elle soit scientifique ou conspirationniste. Evidemment, celui des scientifiques nous semble meilleur et c’est pour cette raison que nous cherchons à le promouvoir. Encore un rapport de force...
Pauline Hervois interviendra lors du panel “Les Français et la science 2020”, le mercredi 17 novembre 2021 à 15h30.
Richard-Emmanuel Eastes interviendra lors de la session “Confiance en la science” le vendredi 19 novembre 2021 à 8h30.
Retrouvez le programme complet du colloque sur http://www.science-and-you.com/fr/programme