A l’occasion de la journée nationale de la laïcité du 9 décembre 2020, une web-rencontre portera sur Laïcité et gestion du fait religieux au travail. Mise en bouche avec Hugo Gaillard, son conférencier, docteur ès sciences de gestion et auteur de Manager l’expression religieuse au travail à paraître le 29 janvier aux éditions AFMD.
Le principe de laïcité revient régulièrement dans les débats publics. Comment se réalise-t-il dans le monde du travail ?
Les débats sur la laïcité ne sont pas l’apanage de notre époque. Ce principe a connu des évolutions historiques. Pour ne pas remonter plus loin, en 1905, la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat acte une situation différenciée dans le monde du travail, entre les mondes du travail public et du travail privé. Dans le public, la neutralité des agents est requise. En dehors de cette sphère, la liberté de conscience est sacrée. Il existe donc une liberté de culte, qui s’applique à tous, dans la limite bien entendu du trouble à l’ordre public. Les salariés du privé sont donc libres d’exprimer leur religion, selon certaines limites bien entendu. Et les questionnements sur la laïcité ne datent pas d’aujourd’hui. Déjà, Aristide Briand se posait la question du port de la soutane pour les prêtres par exemple.
En quoi la gestion du fait religieux au travail est-elle spécifique ?
Il faut considérer l’entreprise comme une sphère de confluence de la société. C’est là que les gens se rencontrent le plus. Sa particularité, c’est qu’elle fait collaborer des individus différents, que ce soit en termes de productivité, de culture de travail ou d’identité. Il y a une coexistence d’individus qui n’ont pas choisi de se rencontrer. Le fait religieux est une des expressions de ces identités. Et dans les collectifs de travail, on peut en trouver plusieurs manifestations. Car de nouvelles formes de spiritualités apparaissent. Par exemple, certains employés réclament des salles pour méditer, d’autres encore pour prier.
Une certaine cristallisation peut alors apparaître dans l’entreprise, d’autant que notre époque vit un contexte de surexposition des identités. Les entreprises développent un discours du « Venez comme vous êtes ». Or, les plus orthodoxes des pratiquants vivent leur religion comme un mode de vie, leur journée étant définie selon certains rites. Les aménagements qui leur sont proposés peuvent par exemple être vécus comme une inégalité de traitement par leurs collègues. Il convient tout de même de rappeler que les situations très problématiques restent minoritaires, comme en attestent les travaux de l’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE).
Comment le management peut-il faire coexister ces différentes identités ?
Ma recherche m’a amené à construire une méthode qui vise à accompagner les managers dans la définition de règles, et ce sur les trois niveaux du management : elles doivent être incluses dans une stratégie, mises en place puis accompagnées pour être acceptées. A ce niveau, l’acteur clé, c’est le manager de proximité. Il doit à la fois veiller à ce que le fait religieux ne gêne pas le travail, à ne pas créer de situation de discrimination et à être cohérent dans les règles managériales, pour ne pas créer de frustration.
Dans mon dernier ouvrage, je détermine ainsi quatre éléments clés qui permettent aux organisations et leurs managers de se positionner face au fait religieux.
Vous êtes aussi un universitaire. Comment la laïcité s’applique-t-elle dans le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche ?
Dans le cas de l’université, il y a deux catégories de personnels. Les personnels administratifs et techniques sont des agents publics. Ce statut implique la neutralité. Les enseignants-chercheurs, eux, doivent également rester neutres, y compris au plan des signes religieux, en situation de cours et à l’université, et bénéficient de libertés académiques renforcées. Ils peuvent bien sûr débattre de tous les sujets, puisque toutes les idées sont discutables et critiquables en France. Cela se fait dans la limite des atteintes individuelles et de la discrimination, des troubles à l’ordre public, et de l’interdiction du prosélytisme ; et en cohérence avec le projet pédagogique de l’enseignant. Ces règles s’appliquent également aux intervenants vacataires et aux enseignants non titulaires, mais pas aux conférenciers ponctuels par exemple.
Quant aux étudiants, les points de tensions relayés par les médias portent souvent sur des marques vestimentaires. En fait, le principe de laïcité leur garantit le droit d’exprimer leur religion librement, sauf si cela peut poser des problèmes de sécurité ou d’hygiène pendant les cours (pendant les activités sportives, en laboratoires par exemple).
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Présentation de l'ouvrage Manager l'expression religieuse au travail : quatre études de cas