[Portrait] Nolwenn Tréhondart : édition, littérature et images chocs à l’ère numérique

 
Publié le 21/09/2020 - Mis à jour le 5/05/2023
Portait photo de Nolwenn Tréhondart

Nolwenn Tréhondart est maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Institut national supérieur du professorat et de l'éducation (Inspé) de Lorraine (Université de Lorraine) et membre du Crem. Depuis septembre 2020, elle conduit le projet de recherche financé par le ministère de la Culture « Interpréter les images chocs en temps de crise sanitaire ».

Quel est votre parcours ?

Mon parcours m’a conduite du secteur de l’édition aux métiers de la recherche et de l’enseignement. Après un baccalauréat scientifique et une classe préparatoire commerciale, j’ai intégré l’EM-Lyon Business School, puis l’ESCP Business School (Paris) pour y suivre un master spécialisé en management de l’édition. J’ai ensuite occupé un poste d’éditrice pendant dix ans aux Éditions Bréal, où j’étais chargée de coordonner la réalisation de manuels scolaires en sciences économiques et sociales, en philosophie et en histoire, mais aussi d’ouvrages grand public comme l’Antimanuel d’économie de Bernard Maris (assassiné lors de l’attentat contre Charlie Hebdo en 2015).

En 2008, j’ai souhaité changer d’horizon et suis partie travailler deux ans en Tanzanie comme correctrice au Tribunal pénal international pour le Rwanda. À mon retour en France, je me suis inscrite au master 2 « Numérique : enjeux et technologies » de l’Université Paris 8-Vincennes-Saint-Denis afin de mieux comprendre les transformations numériques du monde de l’édition. Dans ce cursus où beaucoup d’enseignants sont rattachés à l’unité de recherche Paragraphe, j’ai découvert les courants de recherche sur les hypermédias et la littérature numérique initiés par Jean Clément et Jean-Pierre Balpe. Les rencontres et discussions que j’ai eues à cette époque avec Philippe Bootz – qui m’a offert de participer au programme Erasmus « Digital European Literature » – et Alexandra Saemmer – dont j’ai alors découvert les écrits sur les figures rhétoriques de l’hyperlien – ont été déterminantes dans mon parcours universitaire. Ces échanges m’ont conduite à poursuivre en thèse les réflexions initiées lors de l’écriture de mon mémoire sur les pratiques des éditeurs numériques et le nouveau champ de l’édition « enrichie ». Durant mon travail doctoral, j’ai développé un modèle sémiotique confrontant les représentations et allants de soi professionnels de concepteurs (recueillis lors d’entretiens semi-directifs) aux formes éditoriales et figures rhétoriques repérables dans un corpus de livres numériques d’art et de jeunesse. Ont suivi des années riches en collaborations, dont le projet « Catalogues d’exposition augmentés : zones de test » au sein du Laboratoire d’excellence des arts et médiations humaines (Labex Arts-H2H) qui a donné lieu à la publication en 2017 de l’ouvrage Livres d’art numériques : de la conception à la réception (Hermann). La même année, j’ai soutenu ma thèse, Le Livre numérique enrichi : conception, modélisations de pratiques, réception et j’ai été recrutée par l’Université de Lorraine comme maîtresse de conférences.

Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?

Mes travaux se situent à la croisée de la sémiotique pragmatique, de la sociologie et des théories critiques des industries culturelles et numériques. Ils se développent selon plusieurs axes et terrains. Bien que je continue à être sensible aux évolutions des pratiques d’écriture numérique, mes objets de recherche sont également influencés par mon engagement au sein de l’Inspé de Lorraine dans la formation des enseignant·es aux usages et enjeux du numérique. Je constate une certaine difficulté à penser le numérique en dehors des usages normatifs de l’institution scolaire et à intégrer les questions pourtant cruciales d’éducation aux médias et à l’information, thèmes notamment étudiés au Crem par Laurence Corroy, Nicolas Hubé, Sylvie Pierre et Bérengère Stassin.

Je suis portée par la conviction que les sciences de l’information et de la communication peuvent contribuer significativement à la formation des enseignant·es en ce domaine. En 2019, j’ai organisé une première journée d’étude sur les images en contexte numérique (Crem, 2L2S, Ircav) à l’Inspé de Lorraine. En juin dernier, j’ai initié l’actuel projet de recherche « Interpréter les images chocs en temps de crise sanitaire » (2020-2022), lauréat de l’appel à projets national du ministère de la Culture « Renforcer l’esprit critique » qui s’inscrit dans sa volonté de soutenir l’éducation aux médias et à l’information. Ce projet est fondé sur une démarche de recherche-action-évaluation et vise à développer une méthode d’analyse destinée à renforcer l’esprit critique et la réflexivité dans le processus d’interprétation de l’image photographique « choc » en contexte numérique. Y participent une équipe d’enseignant·es-chercheur·ses du Crem (Laurence Corroy, Nicolas Hubé et Susanne Müller) et plusieurs partenaires avec lesquels nous construirons des actions de formation et des livrables en matière d’éducation à l’image : le Cémti (Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis), l’Inspé Normandie Rouen-Le Havre, l’association Radio campus France, l’Institut régional du travail social de Lorraine, le Centre pour l'éducation aux médias et à l'information, le réseau Image’Est… Donner aux médiateurs et médiatrices de l’éducation et de la formation des outils pour mieux accompagner la réception des images chocs nous semble être une façon particulièrement pertinente de lutter contre les radicalisations et les discours de haine qui accompagnent souvent la diffusion de ces contenus (sur ces thématiques, voir aussi les projets de recherche Vioramil auquel a participé Jacques Walter et M-Phasis co-dirigé par Angeliki Monnier).

Quels sont vos projets ?

Mon premier chantier de cette année universitaire concerne le projet « Interpréter les images chocs en temps de crise sanitaire ». Il s’agit maintenant de mettre en place une dynamique collective et de définir les grandes orientations pratiques qui guideront ces deux prochaines années de collaboration.

En parallèle, je termine l’écriture d’un livre avec Alexandra Saemmer sur les fondements et enjeux de la méthode en sémiotique sociale que nous allons justement évaluer à plus vaste échelle dans le cadre de ce projet de recherche. Celle-ci s’appuie sur une mise en convergence d’emprunts à la sémiotique pragmatique, ainsi qu’à la sociologie constructiviste. Depuis plusieurs années, nous avons organisé sur différents terrains, essentiellement pédagogiques, des expériences de réception sous la forme de séances d’interprétation en focus groups, où les participants sont confrontés à un objet culturel, comme une image photographique, un film, une série ou un site de presse en ligne. L’enjeu est d’initier de manière collective un travail de réflexivité sur les allants de soi, habitudes de pensée, modèles de reconnaissances du monde, qui guident le récepteur lors de ces expériences interprétatives.

Enfin, d’un point de vue plus personnel, je souhaite poursuivre mes recherches sur les pratiques d’écriture numérique en m’intéressant notamment au développement des plateformes d’écriture dans les domaines littéraires et scolaires, des fictions sur les réseaux sociaux numériques, et à l’impact de l’intelligence artificielle dans le champ éditorial. J’ai d’ailleurs participé au colloque international Penser les arts littéraires organisé par Carole Bisenius-Penin du Crem et Bertrand Gervais et René Audet de l’Université du Québec à Montréal.