Jana Vargovčíková est docteure en science politique. Recrutée au Crem en mars 2020 en tant que chercheuse post-doctorante dans le cadre du programme Lorraine Université d’Excellence (LUE), elle travaille sur les discours relatifs à la transparence en matière d’environnement, de santé et de sécurité alimentaire circulant en France et en Europe.
Quel est votre parcours ?
Née à Košice en Slovaquie, après des études en science politique et en philologie à l’Université Charles à Prague (République tchèque), j’ai préparé et soutenu une thèse en science politique en cotutelle entre l’Université́ Paris Nanterre et l’Université́ Charles. Elle portait sur l’émergence du lobbying en tant que nouveau marché de services et problème politique après 1989, dans le contexte post-communiste de la Pologne et de la République tchèque. J'y ai particulièrement traité les tentatives de réglementation du lobbying car cela me permettait d’analyser ce qui m’intéressait le plus : les négociations de la place des acteurs économiques dans les représentations légitimes de la fabrique de la loi, soit les controverses autour de l’idée selon laquelle les entreprises étaient des acteurs légitimes du processus législatif. Après ma soutenance de thèse, j’ai pu rejoindre le Centre d’étude de la vie politique de l’Université libre de Bruxelles (Belgique) en tant que chercheuse post-doctorante pour participer au projet de recherche Governing Values, Governing through Values, Governed by Values? The European Union as a Risk Polity sur la place des valeurs – dont la transparence – dans le gouvernement de l’Union européenne. Là, j’ai principalement travaillé sur l’évolution de l’usage des prix (au sens de récompenses) comme instruments de gouvernement au niveau européen. Parallèlement à ma thèse et à ce contrat postdoctoral en Belgique, j’ai aussi participé au projet collectif sur les agences de régulation en France Juges, régulateurs et déontologues. Politiques de l’indépendance et nouvelles formes d’autorité politique, dirigé par Antoine Vauchez du Centre européen de sociologie et de science politique de l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne. En collaboration avec ce dernier, je me suis focalisée sur le cas de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Toutes ces recherches s’inscrivent dans mon constant intérêt pour les transformations contemporaines des modes de gouvernement en Europe et pour la place des politiques de la transparence dans ces transformations.
Pouvez-vous en dire plus sur vos recherches actuelles ?
J’ai rejoint le Crem en tant que chercheuse post-doctorante pour participer au projet Distic (Transparency Discourses: From Institutions to Citizens) qui fait partie des travaux interdisciplinaires conduits à l’Université de Lorraine dans le cadre du projet Olki (Open Language and Knowledge project for Citizens) issu du programme Lorraine Université d’excellence (LUE). Distic s’intéresse aux significations multiples et parfois contradictoires du terme transparence dans les controverses liées à l’environnement, à la santé et à la sécurité alimentaire. Car la question de la disponibilité publique d’informations et d’expertises fiables se retrouve souvent au centre des débats sur les risques environnementaux ou sanitaires, comme le démontre d’ailleurs la crise actuelle due à l’épidémie de Covid-19. Dans ce contexte, les discours sur la transparence produits par les autorités publiques, les acteurs industriels, les organisations non gouvernementales et les médias cristallisent les tensions entre, d’une part, l’accès public à de plus en plus d’informations et de données et, d’autre part, la défiance citoyenne croissante envers ces données et les savoirs dits experts qui les façonnent. Ma tâche est donc d’abord de construire et analyser des corpus de textes, en collaboration avec les responsables du projet François Allard-Huver, Anne Piponnier, Emmanuelle Simon et Marianne Clausel, pour mettre en lumière la circulation des discours sur la transparence entre différents espaces et types d’acteurs. Ensuite, nous pointerons les divergences dans les acceptions du terme transparence et des objectifs et limites inhérents chez ces différents acteurs. Pour cela, nous nous appuierons notamment sur des méthodes lexicométriques et sur des méthodes qualitatives d’analyse des discours et nous concentrerons sur les terrains français et européen. En plus de contribuer à l’accroissement des connaissances scientifiques, cette recherche pourra aider les acteurs de la société civile et les citoyens pour se repérer dans les injonctions parfois contradictoires à la transparence, ainsi que pour réfléchir aux présupposés de leurs propres appels à plus de visibilité sur les politiques publiques.
Quels sont vos projets ?
Mon engagement au sein du projet Distic ne fait que commencer, ce sera donc mon chantier principal pour l’année à venir. Je suis très contente de pouvoir m’investir ainsi au sein d’une équipe interdisciplinaire sur un sujet qui me passionne depuis longtemps : la transparence, ses usages politiques et ses traductions en instruments d’action publique. Je serai particulièrement attentive à la place des acteurs industriels dans les controverses autour de l’environnement, de la santé et de la sécurité alimentaire que nous allons étudier. J’aimerais ainsi prolonger la réflexion sur le brouillage des frontières entre les sphères publique et économique que j’ai engagée dans ma thèse et poursuivie depuis. L’un des cas de politique de la transparence qui m’intéresse spécifiquement pour interroger les rapports changeants entre États et entreprises est celui du reporting social et environnemental des entreprises multinationales, c’est-à-dire l’obligation légale pour les très grandes entreprises de publier des rapports annuels sur les conséquences de leur activité économique sur le chômage, la santé publique ou l’environnement, ainsi que sur les risques qu’elle présente, par exemple en termes du travail des enfants ou d’autres violations des droits humains. Ce dernier représente une évolution significative de la politique de l’Union européenne en matière de « responsabilité sociale des entreprises » et, en même temps, le terrain d’observation de la négociation du caractère public et politique des activités économiques. À mesure que les impacts des choix et décisions des très grandes entreprises sur la société se font de plus en plus tangibles, est de plus en plus contesté le principe de la stricte séparation des règles et valeurs de la sphère économique par rapport à la sphère publique. Après le projet Distic, j’aimerais donc poursuivre mes recherches au sein d’une université en France ou ailleurs en Europe. J’aimerais aussi renouer avec l’enseignement : il me semble fondamental de transmettre des savoirs rigoureux mais accessibles et de former aux méthodes d’analyse du monde qui nous entoure.