Simuler la photosynthèse avec cent millions d'atomes

 
Publié le 6/01/2020 - Mis à jour le 8/01/2020
© Singharoy et al. 2019

Christophe Chipot, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de Physique et Chimie Théoriques (CNRS et Université de Lorraine), a publié un article dans la célèbre revue de biologie Cell, dans le cadre notamment du Laboratoire International Aassocié (LIA) avec l’Université d’Illinois à Urbana-Champaign. L’article détaille l’appareil de photosynthèse d’une bactérie primitive, la bactérie pourpre. Il montre l’adaptabilité de l’organelle, aussi appelée le chromatophore de cette bactérie à survivre à un environnement peu lumineux, en utilisant la plus grosse simulation numérique jamais réalisée sur un objet biologique complexe.

L’évolution de l’appareil photosynthétique de la bactérie pourpre en milieu inhospitalier 

La bactérie pourpre est une photobactérie qui vit dans des milieux inhospitaliers tels que les régions lacustres ou dans les profondeurs d’eaux stagnantes. Malgré le manque de lumière, cette bactérie, en absorbant un nombre limité de photons, produit de l’adénosine triphosphate ou ATP, source universelle d’énergie nécessaire à sa survie, et à celle de tout être vivant. Que se passe-t-il au sein du chromatophore entre l’absorption de lumière et la production d’ATP, produit final de la photosynthèse ? C’est l’objet de l’article publié par Christophe Chipot et ses collègues qui va s’intéresser à la composition et l’agencement des protéines dans le chromatophore. La bactérie pourpre existe depuis plus de 2.7 milliards d’années, et elle s’est adaptée pour survivre. 

Un supercalculateur pour une simulation multi-échelle

Les données expérimentales étudiant la bactérie pourpre sont extrêmement importantes. C’est un bon modèle de système plus évolué, même s’il reste complexe pour le théoricien. La photosynthèse est à la bactérie pourpre ce que la chaîne respiratoire dans la mitochondrie est à l’espèce évoluée. « Pour construire ce modèle, nous nous sommes basés sur des expériences de microscopie à force atomique, qui nous ont donné une idée de la composition en protéine de cet objet complexe. », souligne Chris Chipot. L’article publié dans Cell est un article avant tout théorique qui combine les données expérimentales à une grande puissance de calcul. À l’heure actuelle, les simulations réalisées au quotidien à travers le monde mettent en jeu entre 50 et 100 000 atomes. La machinerie de la photosynthèse de la bactérie pourpre dans son environnement aqueux représente 136 millions d’atomes. Jusqu’à présent, personne n’avait envisagé ce calcul.  « Cela n’aurait jamais été possible sans les supercalculateurs qui travaillent à l’échelle petascale, c’est-à-dire au rythme du million de milliard d’opérations à la seconde.» précise Chris Chipot.

Une riche collaboration internationale

Les simulations du chromatophore ont été réalisées sur le supercalculateur Titan du département de l’énergie américain, au Oakridge National Laboratory. L’article paru dans Cell est le résultat d’une collaboration forte entre l’Université de Lorraine et l’Université d’Illinois à Urbana-Champaign dans le cadre du LIA lancé en 2012 et renouvelé en 2017, mais également avec les universités d’Arizona (États-Unis), de Sheffield (Angleterre), de Calgary (Canada) et Jacobs, Bremen (Allemagne). Cet article a également une histoire au sein du centre de l’Institut National de la Santé (NIH) à l’Université d’Illinois à Urbana-Champaign, créé en 1989 et dirigé jusqu’à la fin 2016 par Klaus Schulten, qui pendant plus de 30 ans a beaucoup travaillé sur la photosynthèse pour en comprendre tous les aspects à l’échelle moléculaire, en particulier chez la bactérie pourpre. L’ambition de Klaus Schulten était de simuler une bactérie complète. La simulation d’un chromatophore entier en est le premier pas, et l’accomplissement de 30 ans de recherche. À l’aube du calcul exascale (le milliard de milliard d’opérations par seconde), la simulation d’une bactérie entière n’est peut-être pas si lointaine.

Légende de la photo : Modèle atomique du chromatophore de la bactérie pourpre, organelle chargée de la photosynthèse

© Singharoy et al. 2019