Il y a 4 000 ans… Les premiers mineurs du Massif Vosgien - découverte archéologique exceptionnelle

 
Publié le 7/12/2019 - Mis à jour le 12/12/2019
Percuteur en granite in situ dans les chantiers anciens de la mine de Château-Lambert

Une découverte archéologique exceptionnelle réalisée par une équipe d’archéologues de l’Université de Lorraine

C’est une découverte inédite et rare que les chercheurs de l’Université de Lorraine viennent d’effectuer aux confins du massif vosgien en explorant les parties les plus anciennes des mines de cuivre de la Grande Montagne sur le territoire de la commune de Haut-du-Them/Château Lambert.

Une équipe d’archéologues sous la direction de Denis Morin, archéologue et enseignant chercheur à l’UL, a mis au jour des outils de mineurs en roche caractéristiques des premières exploitations minières de l’Âge du Bronze. Les outils de percussion que l'on trouve dans les mines protohistoriques sont généralement des galets en roche dure collectés dans les torrents ou les dépôts glaciaires. Les faces actives aux deux extrémités présentent des traces de percussions provoquées par les impacts. Leur poids respectifs se situe entre 2 et 4 kg. Les dispositifs de préhension ou d’emmanchement sont étroitement liés à la manipulation de ces outils pendant leur utilisation ; ils pouvaient être utilisés directement avec la main. Les mineurs associaient l'emploi de ces outils avec la technique d’abattage au feu : une technique ancienne qui prépare la roche minéralisée à l'extraction. Le procédé consistait à fissurer la roche en l'exposant à l'action d'un feu de bois. La roche fissurée était ensuite fragmentée à l'aide de percuteurs en pierre.

Un labyrinthe de puits et de galeries de plus de dix kilomètres

La mine de la Grande Montagne est située dans les Vosges du Sud et s’étend sur le flanc sud-ouest d’un relief localisé à proximité de la limite des communes de Haut-du-Them / Château-Lambert (Haute-Saône) et du Thillot (Vosges). Les travaux miniers souterrains s’échelonnent sur une dénivelée de 155 m entre les affleurements de la crête et le niveau de base du travers-banc d’exhaure. Ils développent sur plus de dix kilomètres, un véritable labyrinthe de puits et de galeries datées pour la plupart du XVIe au XIXe siècles. Les différentes phases d’exploitations qui se sont succédé, ont généré sur les crêtes et sur les versants des amoncellements considérables de déblais - ou haldes - de l’ordre de plusieurs milliers de tonnes. Ces dépôts de cailloux et de blocs mêlés recouvrent les vestiges des premières périodes d’extraction. Partant de cette hypothèse, les archéologues ont concentré leurs investigations sur les chantiers souterrains afin d’atteindre les travaux les plus anciens et donc les plus reculés par l’intermédiaire des réseaux modernes encore accessibles. Dans un secteur inexploré de la mine, les chercheurs ont rencontré les vestiges d’un réseau particulièrement exigu de galeries. C’est à cet endroit qu’ils ont découvert plusieurs percuteurs en roche granitique : les outils des premiers mineurs en roches métamorphiques dont une reconstitution expérimentale a pu être réalisée.

Retrouver l’origine des premières exploitations minières

Les recherches ont été menées au cours d’une opération archéologique de prospection thématique visant à retrouver l’origine des premières exploitations minières. Cette découverte inédite élargit les connaissances sur les premières mines de cuivre du massif vosgien. Elle pose de nouveaux jalons pour une approche méthodologique multiscalaire des premières exploitations minières polymétalliques en Europe (Ve au Ier millénaire BC) et de la production des métaux. « Cette découverte est d'une grande importance car elle montre que les origines du cuivre de l'âge du bronze dans le nord-est de la France sont bien plus anciennes que ce que l'on imaginait jusqu'alors », explique Denis Morin. « Longtemps, l’apparition puis la diffusion des premiers métaux en Europe occidentale s’est focalisée autour d’une hypothèse diffusionniste : le métal comme le cuivre ou l’étain provenait exclusivement des gisements éloignés du Levant. S’il est vrai que les routes du métal ont bel et bien existé, l’exploration récente de mines de cuivre modernes, en Europe occidentale, a permis de découvrir les traces significatives d’exploitations antiques et préhistoriques ; c’est le cas des mines de Parys Mountain (Anglesey) et de Great Orme au Pays de Galles, des mines de Bienno en Italie du Nord ou encore des mines du Laurion en Grèce ». Ces découvertes réactualisent les enjeux d’une recherche archéologique centrée sur l’étude des gisements de cuivre et l’exploration des réseaux souterrains encore accessibles exploités aux époques modernes et contemporaines. Les chercheurs espèrent désormais découvrir de nouveaux indices, en surface cette fois, à partir des prospections et pouvoir affiner les datations et reconstituer le scénario des premières exploitations minières du massif vosgien.

L'équipe de recherche à l'origine de cette découverte est composée de D. Morin (Université de Lorraine), S. Delpech (ERMINA)*, J. Sainty (Centre de Recherche en Archéologie Expérimentale de l'Est), H. Morin-Hamon (CNRS UMR 5608), M. Caltagirone (Université de Lorraine), J. Klosset (ERMINA)*, M. Atton (ERMINA)*,

* ERMINA : Equipe Interdisciplinaire d'Etudes et de Recherches sur les Mines Anciennes et le Patrimoine Industriel

Ref. Morin D., Delpech S., Sainty J., Morin-Hamon H., Caltagirone M., Atton M., 2019, « Indices d’exploitation minière protohistorique dans les Vosges du Sud : les outils miniers de la mine de la Grande Montagne (Haut-du-Them / Château-Lambert) ». Revue Archéologique de l’Est, t. 68-2019, p. 59-71 © SAE 2019

English version

An exceptional archaeological discovery made by a team of archaeologists from the University of Lorraine

This is a new and rare discovery that some researchers from the University of Lorraine have just made at the borders of the Vosges mountains by exploring the copper mines of the Grande Montagne Mines in the territory of the commune of Haut-du-Them/Château Lambert. A team of archaeologists led by Denis Morin, archaeologist at the University of Lorraine, has uncovered stone tools (hammerstones) characteristic of the first mining operations of the Bronze Age.

The hammerstones found in prehistoric mines are generally pebbles collected here in fluvial or glacial deposits. The active faces at both ends show traces of impact-induced percussion. Their respective weights are between 2 and 4 kg. The gripping or hafting devices are closely linked to the handling of these tools during their use; they could be used directly with the hand. Prehistoric miners associated the use of these hammerstones with firesetting : an ancient technique that prepares mineralized rock for extraction. The process consisted in cracking the rock by exposing it to the action of a wood fire. The cracked rock was then fragmented with stone tools.

A labyrinth of shafts and galleries over ten kilometres long

The Grande Montagne mine is located in the Southern Vosges and extends on the southwestern flank of a relief located near the boundary of the communes of Haut-du-Them / Château-Lambert (Haute-Saône) and Thillot (Vosges). Underground mining operations extend over a 155 m drop between the outcrops of the ridge and the base level of the mine bank crossing. Over more than ten kilometres, they develop a veritable labyrinth of shafts and galleries, most of which date from the 16th to 19th centuries. The various successive phases of exploitation have generated considerable waste material - or spoil tip - on the ridges and slopes, amounting to several thousand tonnes. These deposits of waste sediments cover the remains of the early mining periods. Based on this assumption, archaeologists have concentrated their investigations on underground mining works in order to reach the ancient and therefore most remote works through the modern networks still accessible. In an unexplored area of the mine, researchers encountered the remains of a particularly narrow network of galleries. It was there that they discovered several granite rock hammerstones: the tools of the first miners in metamorphic rock, for which an experimental reconstruction was carried out.

Recovering the origin of the first mining operations

The research was carried out during a thematic archaeological field operation aimed at finding the origin of the first mining operations. This unpublished discovery expands our knowledge of the first copper mines in the Vosges mountains. It sets new milestones for a multiscale methodological approach to the first polymetallic mining operations in Europe (5th to 1st millennium BC) and to metal production. "This discovery is far from fortuitous, and of great importance" explains Denis Morin. “It shows that the origins of bronze age copper working in north east France was much earlier than people have previously thought. For a long time, the appearance and diffusion of the first metals in Western Europe focused on a diffusionist hypothesis: metal such as copper or tin came exclusively from deposits in the Mediterranean area… While long distance metal trading routes did exist, recent exploration of copper mining sites in Western Europe has uncovered significant traces of regional prehistoric mining, such as the Parys Mountain (Anglesey) and Great Orme mines in Wales, the Bienno mines in northern Italy and the Laurion mines in Greece.”

These discoveries update the challenges of archaeological research focused on the study of copper deposits and the exploration of accessible underground networks still in use in modern and contemporary times. The researchers now hope to discover new evidences, this time on the surface, from ongoing field works, to be able to refine the dates and to reconstruct the scenario of the first mining operations in the Vosges mountains.

Mine de cuivre de la Grande Montagne - Château-Lambert. Chantiers modernes (XVIe-XVIIIe s.) en cours d'exploration. © Photographie D. Morin
Mine de cuivre de la Grande Montagne - Château-Lambert. Percuteur en granite in situ. © Photographie D. Morin
Mine de cuivre de la Grande Montagne - Château-Lambert. Reconstitution expérimentale d'un percuteur en pierre © Photographie D. Morin