Quatre questions à Alexandre Chagnes sur l'enjeu des batteries Lithium-ion [GeoRessources 1/2]

 
Publié le 25/06/2019 - Mis à jour le 1/07/2019

Alexandre Chagnes est Professeur à l’Université de Lorraine, Directeur Scientifique du Labex Ressources21, Directeur du Groupement de Recherche Prométhée sur les procédés hydrométallurgiques, Directeur des Partenariats Industriels à l’ENSG et membre de l’équipe Valorisation des ressources et résidus du laboratoire de recherche GeoRessources. Il revient avec nous sur les enjeux écologiques et économiques sous tendant les batteries Lithium-ion et le recyclage des matériaux. 

 

Quel est votre parcours ?

Après un doctorat sur la physicochimie et l’électrochimie des électrolytes pour les batteries lithium-ion, je suis parti au Canada pour travailler sur l’hydrogénation électrocatalytique de molécules organiques. De retour en France, j’ai été Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER) à l’Université de Tours pour étudier les propriétés physicochimiques et électrochimiques de mélanges de liquide ionique et de solvant. J’ai ensuite rejoint le CEA pour un stage postdoctoral sur la spéciation dans les réacteurs sous haute température et haute pression. En 2005, j’ai été nommé Maître de Conférences à l’École Nationale Supérieure de Chimie Paris (ENSCP) pour mener des recherches en hydrométallurgie et enseigner la thermodynamique et l’électrochimie. J’ai profité de cette période pour contribuer à mettre en place une nouvelle thématique à l’ENSCP sur les électrolytes pour les batteries lithium-ion. Après onze années à l’ENSCP, j’ai été nommé Professeur à l’Université de Lorraine pour développer des activités de Recherche au laboratoire GeoRessources et d’Enseignement dans le domaine de l’hydrométallurgie. L’Université de Lorraine me paraissait l’endroit idéal pour développer ces activités étant donné la présence de laboratoires de très bonne tenue en Géosciences, en Environnement et en Procédé ainsi que d’écoles d’ingénieur de qualité. Mes activités visent à mieux décrire les phénomènes physicochimiques impliqués dans les procédés hydrométallurgiques dans le but de développer de nouveaux procédés plus performants ou d’optimiser des procédés déjà existants pour récupérer des métaux critiques ou stratégiques contenus dans des gisements miniers, des résidus miniers ou encore des matériaux usagés dans le cadre du recyclage. Pour cela, je peux m’appuyer sur la plateforme STEVAL, usine-pilote de GeoRessources, sur la plateforme de Géochimie Minérale PGM et du laboratoire d’hydrométallurgie que j’ai mis en place à mon arrivée et des nombreuses autres outils de caractérisation des minérais disponibles dans les plateformes de  GeoRessources. Ces activités sont financées par des industriels, des projets européens, des programmes nationaux de recherche ou bien dans le cadre des activités du Labex Ressources21, de l’Institut Carnot ou de Lorraine Université d’Excellence (LUE).

Vous travaillez sur le recyclage des batteries lithium-ion, quelles sont les méthodes disponibles ? Quels enjeux ?

En effet, je cherche à mettre à profit mes compétences dans le domaine de l’hydrométallurgie et des batteries lithium-ion pour développer une thématique centrée sur l’approvisionnement en matières premières pour la fabrication des batteries lithium-ion à partir de gisements primaires (mines) et secondaires (résidus miniers, recyclage). Il y a de nombreux enjeux à relever dans le domaine des batteries lithium-ion, aussi bien en ce qui concerne la cyclabilité, la densité d’énergie ou la sécurité des batteries que dans le développement de procédés propres et performants capables de récupérer le lithium, le cobalt, le nickel ou encore le manganèse nécessaire à leur production. La récupération de ces métaux est de plus en plus complexe et coûteuse car ils sont présents dans des gisements primaires ou secondaires complexes du fait de leurs faibles teneurs et du caractère polymétallique des ressources. Le développement de procédés permettant de recycler les batteries lithium-ion est un enjeu majeur parce que la réglementation impose le recyclage mais aussi parce que les batteries lithium-ion usagées seront de véritables mines présentes sur notre territoire. Le recyclage est particulièrement difficile d’une manière générale car les échelles de temps ne sont pas les mêmes que dans l’exploitation des ressources primaires : les technologies changent très vite, il est difficile d’anticiper ces changements et les flux à recycler dépendent fortement de l’économie. Il faut donc pouvoir développer des procédés robustes qui soient capables de s’adapter aux contraintes du recyclage.

 

 

Quelles sont les pistes envisageables pour créer des procédés robustes capables de s’adapter aux contraintes du recyclage ?

L’hydrométallurgie est aujourd’hui considérée comme la méthode la plus adaptée pour récupérer les métaux stratégiques et/ou critiques contenus dans les objets technologiques usagés.  Il faut pouvoir créer des procédés hydrométallurgiques intelligents, c’est-à-dire des procédés qui puissent s’adapter à la variabilité en composition et en volume des flux de matériaux à recycler (smart-processing approach). Pour cela, l’intelligence artificielle couplée à des méthodes d’analyse en ligne peut jouer un rôle non négligeable en adaptant les paramètres du procédé à la composition des flux afin que le procédé fonctionne de façon optimum (diminution des coûts de maintenance, réduction de la consommation de réactifs, réduction de la quantité d’effluents, amélioration de la qualité du produit, etc.). Dans le but de diminuer le temps d’apprentissage de l’intelligence artificielle, il est nécessaire de réduire drastiquement le volume de données nécessaires. Ceci est envisageable en couplant l’intelligence artificielle avec un modèle décrivant la physicochimie impliquée dans les opérations hydrométallurgiques mises en œuvre dans le procédé de recyclage.

Un dernier mot ?

Dans tous les cas, il ne faut pas oublier que nous ne pourrons jamais trouver un procédé totalement propre mais que nous ne pouvons qu’optimiser ce procédé pour que son impact sur l’homme et l’environnement soit le plus faible possible. Un effort non négligeable doit être fait pour concevoir les produits de façon à ce qu’ils soient plus facilement recyclables et que leur fabrication impacte un minimum l’environnement. L’écoconception doit donc être plus que jamais au centre de nos préoccupations et il est important que les communautés impliquées dans la conception des matériaux, la conception des objets et les ingénieurs travaillant dans le domaine du recyclage communiquent davantage. Il faut aussi pouvoir travailler au décloisonnement de la chaîne de valeur puisqu’une action sur une partie de la chaîne de valeur impacte l’ensemble de la chaîne de valeur.