[Retour sur] Séance 2 & 3 workshop "Le vivre ensemble, approche du droit comparé"

 
Publié le 2/05/2019 - Mis à jour le 3/05/2019
[Retour sur] Séance 2 & 3 workshop "Le vivre ensemble, approche du droit comparé"

Les deuxième et troisième rencontres autour du concept de « vivre ensemble » se sont tenues les 1er et 23 avril dernier à Nancy et à Metz. Ces deux autres séances ont permis de poursuivre une réflexion ouverte sur le droit comparé en amont du colloque interdisciplinaire "Le concept de vivre ensemble, saisi par le droit" qui se tiendra les 16 et 17 mai prochains à Nancy, organisé par Christophe Bouriau (PR/UL), André Moine et Marie Rota (MCF/UL).

> Programme du colloque interdisciplinaire des 16 et 17 mai 2019, ici

> Inscription obligatoire au colloque, ici

Ces workshops ont permis de poursuivre notre voyage en Asie (avec une intervention sur la Chine), en Amérique Latine (avec une intervention sur l’Argentine) et en Europe (avec une intervention sur l’Allemagne et une autre sur le Royaume-Uni). Ces passionnantes conférences, dont les résumés rédigés par nos deux intervenant.e.s suivent, ont donné lieu à des débats de fonds féconds et à de très riches échanges avec la salle.

« Le vivre-ensemble en Chine » par Xiaowei SUN, Maître de conférences, Université Bourgogne Franche-Comté, CRJFC (Propos recueillis lors du workshop - séance 2 du 1er avril 2019).

En Chine, l’idée de vivre ensemble a été très tôt appréhendée par les philosophes de l’Antiquité. Pour la plupart d’entre eux, si le vivre ensemble est un fait inévitable, il peut être source de conflits. À cet égard, soit pour l’isolement des individus, soit pour le respect d’un ordre hiérarchisé, soit pour un gouvernement fort et autoritaire, les solutions varient entre les écoles de pensées. L’ensemble de ces pensées influencent la conception moderne de vivre ensemble.

Aujourd’hui, sous la République Populaire, le concept de vivre ensemble révèle un intérêt particulier, en raison de l’importance démographique, de la diversité ethnique, et de la complexité sociale et économique du pays. Dernière l’essor économique, l’aggravation des inégalités et injustices détériorent les relations entre les citoyens. Face à ce problème, depuis les années 2000, l’État promeut une politique de construire « une société socialiste et harmonieuse » qui demeure un objectif fondamental à poursuivre. Il s’agit non seulement de concilier les différences, mais aussi de pallier les activités nuisant au vivre ensemble. Le droit – par reconnaissance, régulation et prescription – constitue un outil aussi efficace qu’indispensable pour la mise œuvre de cette politique.  

« La vision allemande du vivre ensemble » par Jochen Sohnle, Professeur IRENEE / UL (Propos recueillis lors du workshop - séance 2 du 1er avril 2019).

Sur le plan politico-juridique, la vision allemande du vivre ensemble se conçoit en contraste avec l’expérience totalitaire national-socialiste. La loi fondamentale s’oppose par tous les moyens à la répétition d’une telle situation. Elle est donc l’instrument le plus efficace pour garantir le vivre ensemble. D’abord à travers le principe de dignité humaine qui chapeaute les droits fondamentaux, la loi fondamentale et l’ordre juridique allemand dans son ensemble. Sur ce fondement les pratiques suivantes ont été invalidées par le tribunal constitutionnel fédéral : le fait des forces aériennes d’abattre un avion se dirigeant vers un gratte-ciel, l’utilisation de détecteurs de mensonge et la réclusion criminelle à vie. Ensuite grâce à une protection absolue contre toute révision qui pourrait porter atteinte à la dignité humaine et au noyau des droits fondamentaux. Il s’agit, d’après le tribunal constitutionnel fédéral, d’une garantie pour l’éternité par laquelle la loi fondamentale réagit aux expériences historiques.

« De quel vivre ensemble la Constitution argentine est-elle le projet ? » par Jana Rocha Soria, Doctorante IRENEE/UL (Propos recueillis lors du workshop - séance 3 du 23 avril 2019).

Encore en vigueur aujourd’hui malgré les différentes révisions qu’elle a connues, la Constitution argentine nait en 1853, assistant à la transformation de sa population en même temps qu’elle la fomente. Par ailleurs, sa caractéristique sociale et son inspiration libérale confèrent à la fois spécificité et légitimité au projet de vivre-ensemble y afférent. Aussi, ces caractéristiques propres au modèle argentin ne peuvent être écartées à l’heure de considérer la version argentine du vivre-ensemble.

Cependant, les communautés d’origine indienne et africaine en Argentine sont marginalisées, voire menacées, par le projet constitutionnel. En effet, la loi suprême de 1853 annonce un projet d’européanisation de sa population, non seulement grâce à l’impulsion d’une « immigration européenne » (art. 25), mais aussi au moyen d’une colonisation sans concession.

« La vision britannique du vivre-ensemble » par Aurélie Duffy-Meunier, Professeur IRENEE/UL (Propos recueillis lors du workshop - séance 3 du 23 avril 2019).

La quête de la notion de « vivre ensemble » en droit britannique aboutit à une impasse. Pour quelles raisons ? Le Royaume-Uni connaît une tension intrinsèque entre l’unité et la diversité, entre l’union des sujets et des nations sous la Couronne britannique et une certaine désunion à l’heure du Brexit notamment. Cette tension peut s’expliquer par le fait que les britanniques ne connaissent pas de concept de citoyenneté et de nation comparable à ceux que l’on peut rencontrer en France. Contrairement à la France, le Royaume-Uni est une union de quatre nations, caractérisée par une citoyenneté plurielle. Les britanniques, qui ont été des sujets avant d’être des citoyens, n’ont jamais connu de pacte constitutionnel tourné vers l’avenir en raison de la nature coutumière de leur Constitution.

Depuis le référendum sur le Brexit, le Royaume-Uni connaît une forme de désunion parce que les citoyens et les quatre nations ont fait le choix d’un avenir différent. Le rôle du droit de l’Union européenne et de la citoyenneté européenne dans la résolution du conflit nord-irlandais ainsi que l’actuelle difficulté à trouver un accord de retrait viable en raison de la frontière nord-irlandaise témoignent de l’importance de la perspective de « vivre ensemble » offerte par le droit européen. Par ailleurs, le vote opposé des différentes nations lors du référendum sur le Brexit pourrait être à l’origine d’une désunion des nations écossaise et nord-irlandaise face à l’Angleterre et au Pays de Galles.

L’expérience britannique révèle ainsi le rôle déterminant de la Nation, d’une Constitution au sens formel et d’une notion de citoyenneté clairement définie pour que le concept de vivre ensemble soit opérant.

Xiaowei SUN - workshop "Le vivre ensemble, approche du droit comparé"
Jochen SOHNLE - workshop "Le vivre ensemble, approche du droit comparé"