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Vice Président de l’Université de Lorraine chargé du Numérique, des Données et de la Science Ouverte, Nicolas Fressengeas répond aux questions de Factuel sur une initiative du site lorrain de recherche « Pour une recherche lorraine plus reproductible, intègre et ouverte ».
UNYS rend public en cette rentrée 2025 un texte intitulé « Pour une recherche lorraine plus reproductible, intègre et ouverte ». Pouvez-vous nous présenter l’objectif de ce document ?
Nicolas Fressengeas : « L’Université de Lorraine travaille depuis près d’une dizaine d’année sur une politique d’ouverture de la science visant à rendre accessible au plus grand nombre les productions de sa recherche. Les nombreux bénéfices que cette ouverture apporte sont détaillés dans la recommandation de l’Unesco de 2021 sur une science ouverte. Ils sont nombreux. Parmi eux, citons l’amélioration de l’intégrité scientifique, via une meilleure transparence des processus de la recherche, notamment sur les données produites et les logiciels utilisés. Le Code de la recherche, dans son article dédié à l’intégrité scientifique ne s’y est d’ailleurs pas trompé en demandant la conservation des « résultats bruts des travaux scientifiques », lesquels doivent être ouverts pas défaut selon la Loi pour une République Numérique (2016). Citons également la reproductibilité améliorée des résultats publiés, via encore une fois le partage et l’ouverture des données et des logiciels produits et utilisés.
Cette décennie de travaux a donné lieu à un ensemble de plateformes techniques, de guides et de recommandations, tous disponibles sur un site lorrain dédié. Leur nombre étant à la fois leur force et leur faiblesse, le document rendu public par UNYS en cette rentrée 2025 a pour objectif d’être un guide au sein de ce foisonnement : une simple série de huit recommandations documentées, pour que la recherche lorraine soit encore plus reproductible, intègre et ouverte. »
Ces recommandations sont-elles partagées par les acteurs de la recherche au-delà de la Lorraine, que ce soit en France ou à l’étranger ?
Nicolas Fressengeas : « Bien sûr, orienter la recherche lorraine dans une direction que ne prendraient pas nos collègues français, européens, et d’ailleurs, aurait peu de sens, tant l’activité de recherche est par essence collaborative bien au delà de notre région. Le simple fait que ce soit UNYS qui les porte est significatif, car des organismes nationaux de recherche y rejoignent l’Université de Lorraine dans une démarche commune. Au delà de l’hexagone, leur portée est internationale, comme en témoigne la recommandation de l’Unesco de 2021 sur une science ouverte, au suivi de laquelle l’Université de Lorraine collabore avec l’Unesco et 41 pays sur les cinq continents. En témoignent également les changements introduits par le conseil européen de la recherche (ERC) dans son évaluation des propositions de projets de recherche, en cohérence avec la coalition CoARA dont il est l’un des initiateurs. Le suivi de tout ou partie de ces huit recommandations, dans l’ordre ou dans le désordre, permettra de faire évoluer nos pratiques de recherche en cohérence avec ces évolutions internationales. «
Que répondez-vous à celles et ceux qui voient dans de telles recommandations un alourdissement de la charge qui pèse sur les acteurs de la recherche ?
Nicolas Fressengeas : « Ne nous le cachons effectivement pas : le suivi de ces recommandations implique une réflexion sur nos pratiques de recherche, ce qui ne peut aller sans un petit pas de côté et, sûrement au début, une charge de travail supplémentaire, si aucune autre tâche n’est modifiée par ailleurs. Pour autant, l’on constate aujourd’hui une inflation hors de contrôle du nombre d’articles publiés, très au-delà de ce que les chercheuses et chercheurs peuvent lire, et sans proportion avec l’augmentation du volume de l’activité de recherche. Cette inflation est due au métriques quantitatives inappropriées souvent utilisées aujourd’hui pour l’évaluation de la recherche, que CoARA et notamment l’ERC s’efforcent de changer : diminuer la pression à une activité effrénée de publication peut permettre de libérer du temps pour une recherche plus intègre et reproductible… en un mot de meilleure qualité.
Néanmoins, et sans reprendre les huit recommandations une à une, leur suivi permet un allègement collectif à court terme de cette charge : le partage des données permet d’éviter de nouvelles expérimentations, le partage des logiciels évite des développements inutiles, et les identifiants internationaux pérennes permettent une circulation des données qui évite les multiples ressaisies. Toute la communauté de recherche peut trouver à y gagner, à la fois en termes d’intégrité et de reproductibilité que de charge de travail. »
Au-delà du gain collectif lié à l’amélioration qualitative du travail de recherche, quel serait l’intérêt particulier pour une chercheuse ou un chercheur de suivre ces recommandations ?
Nicolas Fressengeas : « Cette question est d’une importance primordiale. Il faut en effet absolument éviter des injonctions qui seraient contradictoires entre un intérêt collectif et un intérêt particulier : ce serait en effet d’une inefficacité redoutable et surtout source d’inconfort voire de souffrance au travail pour les actrices et acteurs de la recherche. Heureusement, les évaluateurs de la recherche, au niveau individuel comme collectifs, ce sont nos pairs, c’est-à-dire nous mêmes. C’est pourquoi la dernière des huit recommandations, « Tenir compte des engagements CoARA dans vos activités d’évaluation de la recherche », est peut-être la plus importante, car la suivre permettra de nous éviter, en tant qu’évaluateurs, de trop nous éloigner du mouvement global actuel, et ainsi de minimiser les injonctions contradictoires pesant sur nos collègues. Nous pouvons nous inspirer de l’engagement de l’Université de Lorraine en la matière. Les intérêts particuliers et collectifs peuvent se rejoindre, et le doivent dans l’intérêt de la recherche, et de toutes les actrices et acteurs qui y contribuent. »
