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La théorie du génotype économe remis en question
En 1962, un médecin nommé James V. Neel a proposé une idée qui allait marquer la recherche sur l’obésité et le diabète : la théorie du génotype économe. Il pensait que, dans les temps anciens où les famines étaient fréquentes, les individus capables de stocker facilement de la graisse avaient un avantage : ils survivaient mieux et transmettaient plus efficacement leurs gènes à la génération suivante. Ces gènes, autrefois utiles, seraient devenus inadaptés dans les sociétés modernes caractérisées par l’abondance alimentaire et la sédentarité, préparant les populations à une famine qui ne viendrait jamais et contribuant à l’explosion de l’obésité et du diabète de type 2.
Pour appuyer sa théorie du génotype économe, James V. Neel s’est beaucoup inspiré de l’observation des Indiens Pima vivant dans le désert d’Arizona, autrefois chasseurs-cueilleurs et aujourd’hui confrontés à des taux très élevés d’obésité et de diabète de type 2 après une transition rapide vers le mode de vie occidental.
Étude chez plus de 800 000 participants issus de 7 groupes ethniques
David Meyre, professeur de Biochimie et de Biologie Moléculaire à la faculté de Médecine de l’Université de Lorraine, pôle Biologie Médecine Santé, praticien hospitalier au service de Biochimie et de Biologie Moléculaire du CHRU de Nancy, et directeur du laboratoire Nutrition, Génétique et Exposition aux Risques Environnementaux – NGERE (Université de Lorraine, CHRU de Nancy, Inserm) , et Sandra El Kouche, étudiante en doctorat ont souhaité apporter des éléments nouveaux concernant la théorie du génotype économe, ardemment débattue depuis plus de 60 ans.
Ils ont utilisé une base de données regroupant les exomes et génomes de plus de 800000 participants issus de 7 groupes ethniques : Européens, Latino-Américains, Asiatiques du Sud, Asiatiques de l’Est, Africains, Moyen-Orientaux et Juifs Ashkénazes. Ils se sont concentrés sur 65 gènes liés à des formes rares et sévères d’obésité associée à des troubles du développement (syndromique), et 8 gènes impliqués dans l’obésité monogénique, une forme d’obésité héréditaire liée à des anomalies dans les circuits de régulation de la faim.
La théorie du génotype économe invalidée
Les observations des chercheur·es suggèrent qu’une partie des gènes de l’obésité syndromique présentent des signatures négatives de sélection naturelle (c’est-à-dire que les mutations impactant négativement la fonction des protéines sont éliminées ou ‘purgées’ des populations à chaque génération). En revanche, les gènes d’obésité monogénique ne présentent ni une signature négative ni une signature positive de sélection naturelle. Les chercheur·es ont également exclu la possibilité d’une sélection naturelle balancée, à savoir des signatures de sélection alternativement positive ou négative en fonction du contexte géographique et environnemental. Ces résultats invalident l’hypothèse du docteur James V. Neel sur le génotype économe, au moins dans les 7 groupes ethniques étudiés. Ces formes d’obésité ne proviendraient donc pas d’une adaptation ancienne aux famines.
Conclusions
Cette étude éclaire les raisons pour lesquelles certaines personnes sont plus sensibles que d’autres à l’obésité. Elle montre aussi que l’héritage génétique de l’obésité varie selon les origines ethniques. Mais surtout, elle peut aider à mieux traiter certaines formes rares d’obésité. En effet, des médicaments spécifiques existent déjà pour certains de ces cas génétiques.
Et après ?
Cette étude va permettre à l’équipe de chercheur·es du NGERE d’approfondir leur recherche auprès des populations vivant dans des zones désertiques ou insulaires et historiquement soumises à des pénuries alimentaires récurrentes et sévères (ex. Indiens Pima, Bédouins des zones désertiques, habitants des iles Pacifiques). Et comment, à l’inverse, l’abondance alimentaire sur plusieurs générations pourrait façonner notre génome.
Consulter l’article : https://authors.elsevier.com/sd/article/S0026-0495(25)00222-7
