Sciences et médias : entre maîtrise des informations et relation de confiance

 
Publié le 29/06/2018 - Mis à jour le 10/05/2023
table ronde  Science&You

Retour sur la table ronde du 19 juin 2018 « Sciences et média » dans le cadre des RDV de Science&You en partenariat avec The Conversation France. Un sujet complexe en résonnance avec des préoccupations sociales actuelles.

Mathieu Rouault, fondateur de Docteo, a animé cette table-ronde autour de préoccupations sociétales actuelles : à l’heure où la confiance du public dans les médias est en baisse, comment répondre à l’injonction de communication autour des activités de recherche ? Des experts du journalisme et de la communication (Didier Pourquery, rédacteur en chef The Conversation – France, Priscille Rivière, responsable adjointe du service de presse de l’INSERM, Jacques Walter, professeur des universités, directeur du Centre de Recherche sur les Médiations – CREM, Nicolas Bastuck, rédacteur en chef adjoint de l’Est Républicain, correspondant du Monde et du Point) ont répondu à cette question complexe qui n’appelle pas à définir un modèle mais plutôt à trouver des solutions d’anticipation et d’adaptation.

Les réflexions se sont orientées sur ces points principaux :

  • l’état des relations entre journalistes et scientifiques
  • les dispositifs pour les améliorer
  • les fake news

 

L’état des relations entre journalistes et scientifiques et les voies d’amélioration

Priscille Rivière, responsable presse à l’INSERM, a introduit le débat sur la temporalité différente entre la recherche et la médiatisation. Pour le chercheur, il est question de rendre compte d’un travail de plusieurs années et complexe, pour le journaliste il est question de rendre ce contenu lisible et accessible dans un temps court. Nicolas Bastuck a mis en exergue le « digital first », la publication pensée pour être d’abord mise en ligne avant d’être imprimée, ce qui oblige à être dans la réactivité, l’instant présent. Pour le rédacteur en chef de The Conversation France, les journalistes sont d’abord soumis à un flux de publications de plus en plus nombreuses et pas forcément sur des supports purement scientifiques – car les chercheurs eux aussi sont soumis à une forme de pression à publier comme en témoigne l’expression « publish or perish ».

L’évolution des rapports entre journalistes et scientifiques se centre sur un rapport à l’expertise. Le journaliste devient curateur et doit se distinguer par sa capacité à trouver les bonnes sources. Mais pour Jacques Walter il n’y a pas un modèle type de journaliste car tous ont des profils et un rapport à l’information différents. C’est ce dernier qui est déterminant.

« Ce qui compte c’est le rapport à l’expertise […] Soit on a une connaissance fine du milieu scientifique soit on ne l’a pas et là on va aller vers le « bon client » […] on produit une sorte de « topos », un discours convenu paré des atours de la science mais qui n’est pas de la science » Jacques Walter

Priscille Rivière a précisé que les services presse ont ainsi un rôle à jouer pour renouveler le « vivier » de porte-paroles de la science. Et Nicolas Bastuck de préciser que le chercheur aussi doit se mettre au niveau « d’ignorance » de son interlocuteur, le journaliste, qui ne peut pas tout savoir.

L’état de la confiance entre chercheurs et journalistes se calque sur celui des citoyens : ces derniers ont, selon des sondages récents, le même taux de confiance envers un journaliste qu’envers un agent immobilier – autant dire de la méfiance. Cependant, une nouvelle génération de scientifiques arrive, qui est mieux formée à transmettre, à synthétiser, et qui connaît les codes des médias.

La question de la vérification de l’information se pose également : parfois il n’est pas possible de vérifier l’information, et parfois il faut savoir faire confiance à la source – notamment quand celle-ci est Nature ou Science. Le travail du journaliste repose plus sur la médiation, le fait de rendre compréhensible un contenu complexe.

Cependant, Jacques Walter précise que la charge de la médiation repose davantage sur les épaules du chercheur que sur celles du journaliste.

Mathieu Rouault a interrogé nos spécialistes sur le phénomène des établissements de recherche et d’enseignement supérieur qui deviennent eux-mêmes médias (Journal du CNRS, Mediacenter de l’Inria, salle de presse de l’INSERM…). Pour Nicolas Bastuck, si la création de tels médias a mis fin au privilège du journaliste dans ses fonctions de médiation et de médiatisation, il s’agit de relever le défi et de montrer la valeur ajoutée du journaliste capable de mettre en perspective, apporter la contradiction, décrypter et vulgariser une information.

Pour Priscille Rivière, les salles de presse et médiacenters sont avant tout des moyens de diffuser l’information scientifique de manière plus efficace et rapide. Tout comme les journalistes, les chargés de communication et de relations presse d’organismes de recherche font preuve de rigueur scientifique. Même si l’on parle alors de communication scientifique et non de journalisme, le but est selon elle tout autant louable : rendre compte au citoyen de l’utilisation qui est fait de l’argent public.

D’autres dispositifs innovants pour rapprocher la parole des chercheurs et des journalistes ont été créés : c’est le cas de  The Conversation, né en Australie en 2011, de la volonté de faire dialoguer directement les chercheurs avec le public. Dans cette mission, Didier Pourquery mentionne les deux difficultés principales qu’il rencontre dans la rédaction d’articles sur The Conversation France:

  • Le fait de rendre accessible une pensée complexe sans trop la réduire
  • Veiller à ce que le contenu produit par les chercheurs ne cherche pas à véhiculer une idéologie.

Jacques Walter conclu cet échange sur les liens entre chercheurs et citoyens en soulignant que le fait pour un chercheur de publier en dehors des revues scientifiques, dans les médias d’information, est de plus en plus valorisé et encouragé par les institutions. Il explique ce phénomène par le fait que les évaluations (des unités de recherche, des carrières des scientifiques) intègrent plus fortement qu’auparavant la capacité des chercheurs à prendre place dans l’espace public – et à y diffuser leurs résultats de recherche.

 

Les Fake News

A l’unanimité, les spécialistes ont insisté sur le fait que ce phénomène n’était pas nouveau :la différence avec la rumeur ou la propagande, c’est le fait que chacun peut publier une fake news sur les réseaux sociaux, qui jouent alors comme une caisse de résonnance.

La question de la propagande n’a plus été étudiée depuis longtemps mais il y a aujourd’hui un renouveau de l’intérêt social pour cette question, qui est étroitement liée à celle de la confiance des citoyens envers les médias.

Mais alors, quelles solutions mettre en place pour lutter contre ces « fausses informations » ? Selon les intervenants, elles ne se situent pas au niveau d’une loi qui serait difficilement applicable et dont la dérive consisterait à définir une vérité officielle, ce qui induirait paradoxalement une méfiance envers cette dernière. Elles se trouvent plutôt dans l’éducation aux médias, apprendre à savoir lire les différents types de médias, mais aussi développer son esprit critique. Dans le cadre spécifique de la science, il apparaît comme une nécessité d’expliciter ce qu’est la démarche d’un scientifique.

 

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