L'Archipel des possibles : Christophe Luxembourger, l’enfance de nos « et moi »

 
Publié le 30/11/2017 - Mis à jour le 5/05/2023
Christophe Luxembourger. Sébastien Di Silvestro/wsy-face.com

Pour ses 10 ans, la Maison des Sciences de l’Homme Lorraine a commandé à Sébastien Di Silvestro un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : L’Archipel des Possibles. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.


« Qui suis-je ? Qu’est-ce que je fais là ? Comment je sais que c’est moi ? Lorsque l’enfant était enfant, il ne savait pas qu’il était enfant… Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ? Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ?… Ce que je vois, entends, sens, n’est-ce pas l’apparence du monde devant le monde ?… Comment se fait-il que moi, qui suis moi, avant de devenir, je n’étais pas, et qu’un jour moi qui suis moi, je ne serai plus ce moi que je suis. »

Des questions inaugurales. Parmi les toutes premières interrogations dans l’ordre de la connaissance. Comme elles semblent naturelles. Aller de soi. Comme il est attendu ce moment où l’enfant sort de l’indifférencié. Quand soudain, vers 3 ans, il s’élève de la ravissante bouillie de mots à la délicate singularisation du « je », puis se tient au sein du monde où il se représente et se reconnaît : « je me vois ». Et le monde avec lui. Cette expression d’apparence innée procède pourtant d’une longue construction cognitive avec inconnues.

En l’état des théories actuelles de l’esprit, l’émergence de la conscience réflexive pourrait plonger ses racines jusqu’au contexte et à l’environnement fœtal. Dès le départ « je » est une histoire unique. Un itinéraire fragile. Les maladies, les troubles et les environnements toxiques peuvent impacter sévèrement cette évolution. Au point que certains enfants n’apprennent pas à dire « je » et/ou ne se reconnaissent pas dans le miroir. Quand « je » est absent, il faut le dégager des décombres de l’histoire qui l’a enseveli et le réveiller de son silence.

Christophe Luxembourger, ex-enseignant en premier degré, puis psychologue scolaire, puis psychologue clinicien, docteur en psychologie, n’a pas choisi ce sujet par hasard. L’homme a toujours été au contact de l’enfance, proche de cette curiosité insatiable, de cette spontanéité rieuse qui préserve les siennes. Il aura même construit sa carrière pour trouver les outils permettant de répondre à ces besoins rencontrés sur le terrain. Avec celui de réparer. Symboliquement, son parcours présente de ces engagements semblables à ceux des prêtres-ouvriers qui s’impliquent auprès des familles et vont bien au-delà de la fonction.

« Ses interrogations humaines et entêtées ne s’accommodent d’aucune réponse sèche. »

Pour permettre à ces enfants de redevenir les acteurs du film de leur vie, Christophe Luxembourger a initié un vaste projet à la MSH. En collaboration avec d’autres psychologues et des spécialistes en informatique et traitement du signal des images, il a établi une échelle de développement, une référence qui faisait défaut jusqu’ici. Une méthode et une série de différents tests applicables en laboratoires ou en milieu scolaire qui permettent le repérage des enfants en difficultés.

Des résultats sont au rendez-vous. L’enseignant du premier degré sera allé au bout de son chemin en se construisant avec ce sujet qui répondait à un besoin primordial. Même s’il ne l’avoue qu’à mots pudiques, son regard embué de ces souvenirs de rejaillissement en exprime la gratification immense. Quand « je » réapparais, c’est un peu comme une nouvelle naissance.

Christophe Luxembourger, par Sébastien Di Silvestro.

Au moment de signer l’autorisation de droit à l’image attachée à cet article, Christophe Luxembourger sourit. Il reconnaît la nécessité d’un formalisme qui pèse un peu sur ses propres expériences. Pour recevoir des enfants et leurs familles, pour avoir le droit de leur poser des questions, d’enregistrer les séances en vidéo, son Projet Emile (Enfant Miroir Identité Langage Énonciation) est soumis à une autorisation du comité de protection des personnes validant le respect des règles en matière de recherche psychologique. Un exercice d’équilibre fin, puisque la validation de ses entretiens est soumise au même protocole de testing qu’un médicament. Le comité évalue le caractère indésirable ou bénéfique des entretiens. L’absence de changement, d’impact, sous le large parapluie du principe de précaution. Pourtant, l’interaction provoquée par son expérimentation vise précisément un changement bénéfique qui pourrait tout autant se produire dans le champ de la vie quotidienne.

Christophe Luxembourger accepte ce poids administratif, mais en individu pratique, habité par sa mission, il en mesure l’impact en regard du nombre d’expériences menées, du nombre d’enfants et de familles à aider. Il fait confiance à sa propre éthique construite au fil d’un parcours en recherches d’outils, toujours en butte à des limites d’exercice, des cadres étriqués. Sa légitimité puise avant tout dans sa longue expérience de terrain.

Né à Saint-Avold dans une famille de mineurs, Christophe Luxembourger est un enfant curieux de tout, de son environnement propice à l’observation du conditionnement social. Pendant les vacances, il travaille dans les fermes, dans les mines de Forbach et remonte du trou la gueule noire du charbon qui fait l’histoire de la région. Enseignant « parce que c’est un beau métier de s’intéresser aux enfants », il est avec eux dans l’échange, l’humour, la légèreté et l’attention profonde. Il s’engage également dans un institut de jeunes sourds et apprends la langue des signes. La structure est modeste, familiale. Elle accueille beaucoup d’enfants de Verdun qui cumulent les problèmes sociaux et psychologiques. Ici, déjà, Christophe a beaucoup à faire avec les parents qu’il visite chez eux autant par simplicité de la démarche que pour comprendre et mesurer le contexte familial.

« Son obstination à répondre efficacement aux besoins de jeunes en difficultés l’aura systématiquement placé et à la marge professionnelle et au cœur du sujet. »

Qu’il s’agisse de handicap ou d’autres difficultés, il ne comprend pas pourquoi certains « gamins intelligents » ne réussissent pas à l’école. Sans relâche, Christophe s’interroge sur chaque cas et cherche à comprendre « pourquoi ça ne fonctionne pas ». Ce qui le pousse à reprendre des études en psychologie pour exercer en milieu scolaire. Toutefois, l’apprentissage de la relation entre psychologie et éducation ne lui suffit pas, il veut pouvoir remonter à la source de chaque histoire. Il entreprend alors un cursus de psychologue clinicien, puis de psychopathologie à Paris et enchaîne sur l’étude du langage et sur un DEA psychosocial. Pour reconstituer les causes d’un dysfonctionnement à partir des énoncés des enfants.

C’est donc tardivement, en 2008, qu’il achève sa thèse sur « Estime de soi, identité langage et logique interlocutoire. Reconnaissance de soi et système identitaire ». Avec ces études en poche, Christophe Luxembourger n’aura jamais à fournir de solution monobloc inopérante. À l’inverse, il pourra tresser les fils de sa compréhension d’un vaste champ de déterminants. Paradoxalement, ce parcours de terrain ne correspond pas au modèle de l’universitaire idéal, hyper spécialisé et publiant sur une constellation de sujets à vitesse de croisière. Pas plus qu’au profil de psychologue scolaire, métier qu’il a abandonné assez vite et de guerre lasse d’avoir toujours à défendre sa manière de travailler plutôt que de remplir pleinement son rôle d’aidant.

Étrangement, son obstination à répondre efficacement aux besoins de jeunes en difficultés l’aura systématiquement placé et à la marge professionnelle et au cœur du sujet. Aujourd’hui dans la recherche, il s’épanouit et publie. Particulièrement au sein d’EMILE, ce projet MSH qui pour la première fois au long d’une carrière construite dans un but unique cumule les compétences interdisciplinaires, la technologie et les autres moyens d’investiguer globalement l’histoire et les besoins d’un enfant.


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Christophe Luxembourger, Psychothérapeute, chercheur, Laboratoire de recherche InterPsy, Université de Lorraine et Sylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de Lorraine

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