Pour ses 10 ans, la Maison des Sciences de l’Homme Lorraine a commandé à Sébastien Di Silvestro un recueil de portraits – textes et photos – de chercheurs en Sciences humaines et sociales : L’Archipel des Possibles. Retrouvez chaque semaine l’un de ces portraits.
« C’est un électron libre penseur. Un “deep learner” créatif et collaboratif dont l’histoire et les engagements sourcent l’évolution des TIC des vingt dernières années qu’il parsème de premières cadencées à haute fréquence. »
Pionnier des usages du numérique, créateur de la première mise en réseau d’écoles françaises à Saint-Dié-des-Vosges en 1995, il a été le premier à posséder une ligne ADSL, à concevoir le premier département multimédia pour les chaînes thématiques du Groupe Canal Plus, à initier une des premières sociétés développant des architectures sous Linux pour les scolaires… Chacun de ces « hits » contribue à élargir un réseau qui le propulse au cœur de la matrice (tu veux un cookie ?) : il rencontre Steve Jobs qui l’invite dans le Saint des Saints à Cupertino pour travailler sur les briques du premier iMac. Il voyage et travaille avec les équipes de Silicon Graphics… Samuel Nowakowski vit alors un âge d’or, une synchronicité avec l’Annonciation d’un siècle numérique qui allait devenir le monde.
Autre étage, ses recherches actuelles s’articulent toutes autour de problématiques d’éducation et de systèmes accompagnants non intrusifs. Notamment au sein de la MSH, avec un projet baptisé ADN ou comment l’être numérique, démultiplié, dans un écosystème numérique peut modifier les processus d’apprentissage, réinventer utilement le rapport au savoir, à la mémoire, dans un environnement pédagogique adapté… Parce qu’en devenant le monde, le numérique en a déplacé l’axe et qu’il convient de dégager les nouvelles bonnes pratiques pour en tirer les avantages attendus.
Il faut dire que le logiciel idéologique de Samuel Nowakowski puise dans la littérature d’anticipation et les mouvements issus des années 70 qui envisageaient les technologies du futur comme un moyen de libérer l’homme, de revoir les hiérarchies, de générer de nouvelles formes de collaborations (encore un cookie ?). Les technologies doivent servir l’homme et non l’asservir. Alors si Samuel gratte du « welcome to the machine », ses travaux sur l’errance numérique, entre mathématiques et philosophie, replacent systématiquement l’homme au centre, pour lutter contre tous les phénomènes d’ubérisation qui relèguent l’homme à un statut d’agent périphérique. Pour lui, le défi actuel est bien celui d’une reconquête humaine. « Pour que le rêve d’une génération ne devienne pas le cauchemar de la suivante ». Partout, dans les Ateliers des possibles, à la radio, Samuel s’investit pour nourrir ce qui peut et doit exister de meilleur. Au nom du vieux rêve (on va faire attention avec les cookies). Son chant des patriotes de l’universel numérique est un chant de joie, un hymne volutionaire.
« Il a le profil de ces hommes d’entre deux siècles. »
De ceux qui ont rêvé et vu naître une ère nouvelle. Un rêve de toiles devenu la source de tous les possibles, de tous les profits, de tous les enjeux. « Original Geek ». Dans les années 80, ton goût de la technologie, de l’épopée, de la science-fiction d’Asimov et de Gibson, des jeux de rôles, de tout ce romantisme un peu foutraque qui deviendrait un nouvel humanisme, faisait de toi une sorte de marginal. Et en 30 ans, du fond de la classe et des garages tu as supplanté l’Ancien Monde et construit les nouvelles règles et les multinationales. En le reliant, tu as fait entrer tout le monde dans celui qui était le tien. Pendant que TF1 diffuse du Marvel à 20 h 50, et que nombre de tes choix présélectionnés sont à la demande et le monde au bout de tes doigts, et inversement, parfois tu t’interroges, sur l’ère de l’information, avec le même effroi, qu’avant toi, ceux de l’atome, du terrifiant pouvoir de tout relier et inversement.
Ses élèves lui vouent une sorte de culte détendu. Parce qu’il les autonomise, les respecte et crée les conditions d’un développement qui leur est propre. Parce que sa pédagogie répond aux exigences de leur génération. Peut-être aussi parce qu’il leur ressemble plastiquement, avec ses gros pulls, ses baskets, cette barbe de trois jours qui lui confèrent de faux airs d’éternel étudiant. Mais il ne faut pas s’y tromper. S’il joue de la guitare et soutient dans ses « nowakowskismes » radiophoniques que la culture numérique et de l’Internet demeure punk par essence brute, c’est que pour lui l’informaticien doit se faire philosophe, réintégrer le sens premier dans les nouveaux outils.
Sa culture est encyclopédique. Ses postulats, nourris. Derrière l’arrondi de ses lunettes brille une exigence que rien n’adoucit. Une accroche rageuse. Cultivée ou non, sa ressemblance avec Steve Jobs demeure assez singulière. Le parallèle est aisé, au sein de l’Université, ses cours en Info-Com constituent une véritable révolution. L’automaticien s’y est fait prophète (le dormeur doit se réveiller), a réussi avec la structure des automatismes là où les communautés des années 70 ont échoué. Son programme baptisé ELIE (environnements collaboratifs en ligne) qui emprunte aux trois lois de la robotique du bon docteur Asimov, constitue une expérience initiatique soft qui engage par ces commandements :
« Toi étudiant, toi enseignant qui rejoint ELIE, ces 4 lois tu respecteras : coconstruire ELIE en 7 séances. Être présent à toutes les séances. Répondre aux objectifs d’ELIE. Organiser le commun. »
Fini le cours magistral, avec cette structure primaire Samuel Nowakowski se pose en ressource d’une démarche collective qui se construit efficacement. Les étudiants s’organisent, se coordonnent, deviennent acteurs, et se constituent en sous-groupes répondant aux sous-objectifs pédagogiques. Les participants se dotent librement d’outils pour répondre à leurs besoins et s’évaluent in fine entre pairs. Visiblement, ce programme développe l’autodétermination, la confiance, l’engagement, le bien-être, tout en constituant une expérimentation de socioconstruction, de conscientisation de ses déterminants comme de l’usage des outils. Une démarche qui permet d’apprendre et d’apprendre à apprendre. « Do it yourself », fais le toi-même, plus qu’un leitmotiv, une réponse au besoin d’interaction permanente d’une jeunesse hyperconnectée.
Le programme représente également une formule adaptée aux problématiques d’un enseignement international qui se doit de prendre en compte toutes les cultures des étudiants au sein d’un même cours. Dans sa grotte ergonomique, ELIE, sorte « d’école des prophètes numériques », propose une formation de conscience au savoir-être et au savoir-faire pour des jeunes amenés à travailler en groupe dans un environnement dématérialisé. Injecter de la conscience dans la borne passante, se réapproprier les possibles, reprendre l’architecture des méthodes et redistribuer les savoirs constitue une problématique brûlante des technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (TICE), autant qu’un projet politique ancré à la racine. Reboot .
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Samuel Nowakowski, MCF en Humanités numériques, Université de Lorraine et Sylvie Camet, Professeure de littérature comparée, directrice de la MSH Lorraine, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.