Parution : En finir avec les idées reçues sur la vulgarisation scientifique

 
Publié le 11/10/2017 - Mis à jour le 10/05/2023
Vul-ga-ri-ser ! PEB&Fox

Pour The Conversation France, Elsa Poupardin, responsable du master "communication scientifique" de l'Université de Strasbourg s'est entretenue avec Nicolas Beck, sous-directeur à la Culture scientifique et technique à l'Université de Lorraine et auteur de « En finir avec les idées reçues sur la vulgarisation scientifique » (éditions Quae).

  • Le mois d’octobre est riche en médiation des sciences : annonce des Nobels, fête de la science, etc. En dehors de cette période, les chercheurs ont-ils souvent des occasions de s’exprimer ? Sous quelle forme sont-ils le plus souvent sollicités pour intervenir ?

On ne peut pas dire que les scientifiques n’aient pas l’occasion de s’exprimer régulièrement, que ce soit dans les médias ou dans des interventions directes auprès du public comme des conférences. La plate-forme The Conversation est l’exemple parfait d’un support dans lequel les chercheurs écrivent directement et régulièrement, avec un succès croissant.

Pour intervenir dans les médias ou écrire un article, je pense qu’il y a peu de réticences de la part des scientifiques, pour lesquels ces outils sont relativement familiers. Par contre, on fait parfois appel aux chercheurs pour s’investir dans des projets qui nécessitent une préparation plus spécifique, comme une intervention face à une classe ou une visite de laboratoire pour le grand public.

Si les sollicitations peuvent sembler nombreuses, je pense qu’il faut à la fois comprendre que la médiation fait pleinement partie du métier de chercheur (comme la loi Fioraso l’a réaffirmé), et que ce temps passé à la culture scientifique ne représente, au final, qu’une partie infime du temps de travail des chercheurs, même si les plus réticents prétendent le contraire. Et en aucun cas ce n’est une perte de temps au détriment de la recherche… bien au contraire !

  • Un certain nombre de travaux réalisés ces dernières années tentent de déterminer quels sont les freins à l’engagement du chercheur dans la médiation vers le grand public. Vous semblez de votre côté penser qu’un ensemble d’idées reçues sur la vulgarisation est pour beaucoup responsable de l’absence d’investissement des chercheurs ? D’où viennent ces idées reçues et comment les combat-on ?

Je propose cette série d’idées reçues comme point de départ car ce sont des phrases que j’ai l’occasion d’entendre régulièrement dans les laboratoires de recherche. Bien sûr, cela ne concerne pas tous les chercheurs, mais il reste quelques irréductibles qui pensent encore que pratiquer la culture scientifique leur fera perdre du temps et n’aura aucun intérêt pour leur carrière… ce qui est faux sur le long terme.

Je pense que nous – médiateurs scientifiques – devons continuer à tenter de convaincre et surtout à accompagner les chercheurs pour qu’ils aient l’opportunité, régulièrement, d’avoir des moments d’échange avec le public et pour cela, de disposer des outils et du recul nécessaires pour le faire.

Tous les chercheurs qui ont pratiqué la médiation sont unanimes : ils ont apprécié et en redemandent ! On constate en effet que le dialogue entre scientifiques et public est bénéfique pour les deux parties. La prise de recul, la contextualisation des recherches, la formulation claire de la démarche scientifique apportent beaucoup aux acteurs de la recherche, qui ont besoin d’être compris du public, mais aussi d’autres collègues chercheurs ou encore de partenaires financiers par exemple.

Pour le public, le contact avec un chercheur est évidemment un moment de découverte et d’éveil à l’esprit critique. À ce sujet, il me semble que le foisonnement de théories douteuses sur l’évolution, le climatoscepticisme ou encore les campagnes de communication antivaccins doivent alerter la communauté scientifique, qui ne peut rester muette dans ce contexte de méfiance croissante vis-à-vis des sciences et des technologies.

Plutôt qu’un combat, je dirais donc que le véritable défi à relever, au quotidien, est de faire cogiter les chercheurs sur les enjeux de la culture scientifique et leur responsabilité, en tant que scientifique

  • Dans un article de 2006, JM Levy Leblond s’interrogeait sur la pertinence de la fete de la science et émettait une réserve : « À la condition sine qua non de ne pas présenter et justifier l’activité scientifique en les seuls termes de son utilité et de son efficacité, ce qui est quand même, son image dominante… (il faudrait) trouver les moyens de (re)nouer avec les champs reconnus de la culture. Théâtre, cinéma, littérature, arts plastiques, musique même, autant de domaines où nombre d’œuvres, anciennes et modernes, pourraient venir donner aux célébrations de la science un caractère véritablement festif ». Dans ces conditions, quelle place peut occuper le chercheur ?

Dans un premier temps, je pense que les démarches culturelles artistique et scientifique ont un grand nombre de points communs : volonté d’aiguiser la curiosité, d’affiner l’esprit critique, d’ouvrir l’esprit du public pour mieux saisir le monde qui nous entoure.

Je rejoins donc complètement JM Levy Leblond dans sa mise en garde concernant la Fête de la Science, qui n’a certainement pas pour objectif de montrer combien la science serait utile et efficace !

L’invitation à un rapprochement – qui a déjà lieu – avec le théâtre ou la littérature me conforte dans l’idée que les chercheurs peuvent pleinement prendre part à ces dispositifs culturels divers et variés. Quand un chercheur contribue à l’écriture d’une pièce de théâtre scientifique, qu’il apporte son analyse sur le contenu d’un documentaire lors d’une projection-débat en public ou qu’il participe à une animation en bibliothèque autour d’un extrait de roman de science-fiction, sa place est bien au cœur du dispositif de médiation culturelle et scientifique.

  • Dans les fêtes de la science, sur les blogs spécialisés, on voit apparaître de plus en plus des médiateurs professionnels, qui connaissent les « trucs » qui touchent le public. Pour ce dernier qu’est-ce que cela change d’avoir affaire à un « vrai » chercheur ?

Je pense que l’impact de la rencontre est plus important si l’échange se fait entre le public et un chercheur plutôt qu’avec un médiateur professionnel. Certes, le médiateur dispose d’un savoir-faire et d’une expérience qui l’aident à faire passer des messages et à rendre une animation interactive, appréciée du public. Les médiateurs sont évidemment indispensables car ce sont eux qui assurent la majeure partie des liens avec le public lors d’événements de médiation scientifique ou dans les lieux dédiés.

Mais, pour le public, la rencontre avec un chercheur apportera toujours une valeur ajoutée qui donne tout son sens à la démarche de culture scientifique. Qui d’autre qu’un chercheur pourrait raconter son parcours, partager ses expériences ? Qui serait mieux placé qu’un scientifique pour évoquer des anecdotes de terrain et de laboratoire, en partageant sa passion pour la science ?

La Fête de la Science, qui doit permettre au public de « rencontrer les femmes et hommes qui font la science d’aujourd’hui », donne l’occasion de discuter avec de « vrais » chercheurs, ce qui constitue une aventure marquante, notamment pour le jeune public. L’implication physique des scientifiques dans des animations de médiation scientifique, génératrice de curiosité et d’émotions pour le public, me paraît donc indispensable.


The Conversation« En finir avec les idées reçues sur la vulgarisation scientifique », par Nicolas Beck, préface de Mathieu Vidard, Éditions Quae, 2017.

Elsa Poupardin, Maitre de conférences, Responsable du Master 2 "communication scientifique", Université de Strasbourg

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.