[UniGR] Interview de Jean-Pierre Jacquot : enseignant-chercheur à l'IAM

 
Publié le 6/06/2017 - Mis à jour le 9/06/2017

Interview de Jean-Pierre Jacquot, enseignant-chercheur au Laboratoire Interaction Arbres Microorganismes (IAM) et à la faculté des Sciences et Technologies (FST), ancien directeur du pôle A2F (2 mai 2017).

 

Sur quelles problématiques les recherches menées au sein du laboratoire Interactions Arbres / Micro-organismes portent-elles?

Il s’agit d’un laboratoire au sein duquel nous travaillons sur les végétaux avec différents modèles. A l’époque, j’étais chercheur au CNRS à Paris. Je suis revenu à Nancy et ai été recruté sur un poste de professeur. Le but était de mener des recherches sur l’arbre. Il y a 20 ans, peu de modèles expérimentaux étaient développés. Le plus prometteur était le peuplier : le génome du peuplier était en train d’être déchiffré, et pour nous c’était important de disposer d’une base de données avec tous les gènes. C’était donc sur cet arbre là que l’on souhaitait porter nos efforts. Récemment, nous avons également travaillé sur d’autres types de plantes avec l’Université de Freiburg en Bade-Wurtemberg.

Le second modèle expérimental sur lequel nous travaillons est un champignon capable de dégrader le bois, ce qui est important à double titre : il faut apprendre comment protéger le bois contre ce champignon mais on peut également l’utiliser pour dégrader du bois non destiné à la construction, afin de récupérer l’énergie qui y est contenue. Lorsque l’on fabrique du bioéthanol, la fermentation du bois est très compliquée. Ce champignon pourrait être utilisé pour dégrader le bois et faciliter cette fermentation.

Actuellement, c’est le maïs qui sert à la production de bioéthanol, mais dans l’avenir, c’est sûrement quelque chose qui peut être très porteur.

Pouvez-vous nous présenter brièvement vos travaux de recherche personnels et nous les expliquer ?

Les travaux que je mène concernent la productivité de la photosynthèse, c’est-à-dire la façon dont la photosynthèse est régulée et plus particulièrement la fixation du CO2.

Vous avez effectué plusieurs séjours de recherche notamment aux Etats-Unis et en Allemagne, quel a été le plus enrichissant pour vous et pourquoi ?

Je dirai que le premier séjour que j’ai fait en Californie pendant 1 an a vraiment été le plus enrichissant d’un point de vue personnel, parce que je n’étais jamais vraiment sorti de la Lorraine, je m’étais juste rendu en Suisse et en Allemagne. Et là je me suis retrouvé à San Francisco.

Il se trouve que l’anglais m’a toujours intéressé, j’étais déjà capable de le parler, mais quand je suis arrivé, c’était très différent. Lorsque mon patron me parlait, je comprenais la moitié de ce qu’il me disait. C’était quelque chose d’extraordinaire de découvrir un pays complètement nouveau, avec de grosses différences à l’époque, en 1980.

Je pense que mon séjour en Allemagne a été une excellente expérience à des degrés complétement différents. D’un point de vue scientifique, j’ai bien plus appris quand j’étais en Allemagne. Ma génération a dû faire face à une grande transition, qui était celle d’apprendre une nouvelle technique : la biologie moléculaire.

Au niveau professionnel, cela vous a plus apporté de partir à l’étranger plutôt que de rester en Lorraine ?

Oui, énormément. L’ensemble de notre travail est publié en anglais, il faut donc être capable de parler et écrire la langue. De plus, communiquer dans des congrès est essentiel, mais le plus important est la rédaction d’articles : si tu n’es pas en mesure d’écrire un article en anglais compréhensible, personne ne le lira et il ne sera pas accepté dans un journal.

Quand je me déplace dans les laboratoires en Allemagne, je ne parle pas allemand mais anglais. Je parle un petit peu en allemand, mais je n’arrive pas à suivre parfaitement une conversation, et à m’exprimer en allemand scientifique, ce qui est encore plus difficile. Par contre, je suis véritablement capable de communiquer avec un anglais, un chinois, un japonais, ou un allemand, mais en anglais. L’année passée aux USA m’a permis de mieux pratiquer la langue, c’est un avantage énorme.

D’après-vous, quels sont les avantages et les inconvénients d’une coopération transfrontalière / internationale? Quels sont les éléments essentiels pour qu’elle fonctionne ?

Moi je ne vois pas d’inconvénients. A Nancy, d’autres personnes travaillent sur la biologie mais ne sont pas spécialisés dans mon sujet d’études. Ils travaillent dans d’autres domaines qui sont également très intéressants, mais avec eux, je ne peux pas avoir la même qualité d’échange qu’avec des collègues allemands avec qui je partage le même sujet d’études.

Pour vous la distance géographique n’est pas du tout un inconvénient ?

Ça a été un inconvénient énorme, jusqu’au jour où  Internet est arrivé. A partir du moment où on a pu commencer à échanger par mail, Skype, etc… l’inconvénient est devenu beaucoup plus faible. Grâce aux nouvelles technologies, j’ai pu plus facilement travailler avec des collègues en Allemagne à Bielefeld, à Freiburg et aussi avec ceux de Sarrebruck. En recherche, si tu maîtrises ta langue et l’anglais, tu peux communiquer avec tout le monde.

D’après-vous, dans quelle mesure une région transfrontalière telle que la nôtre représente-t-elle une opportunité pour un chercheur ?

C’est un énorme avantage que possède la Lorraine. Maintenant que l’on est passé à la région Grand Est, la Grande Région devrait s’étendre, en particulier au Bade-Wurtemberg. Strasbourg est en contact extrêmement fort avec Freiburg et Bâle, et nous aurions tout intérêt à rentrer dans quelque chose de plus vaste. L’Alsace et la Lorraine sont désormais dans la même région, il n’y a pas de raison de se limiter. Cela pourrait être une bonne chose pour l’Alsace vis-à-vis de Sarrebruck, que d’étendre la zone géographique, cela serait dans l’intérêt de tous.

Vous avez pu bénéficier des services de l’UniGR, pourriez-vous nous expliquer à quoi ces fonds ont-ils été dédiés ?

En effet. Un congrès a été organisé en partenariat avec Kaiserslautern et Sarrebruck sur les thématiques de la régulation Redox. Un autre a été organisé à Kaiserslautern et financé par l’UniGR. Nicolas Rouhier, l’un de mes collègues, a effectué un séjour cofinancé par l’UniGR à Kaiserslautern en 2016.  

Qu’il s’agisse de mes collègues allemands ou de moi-même, nous sommes d’accord sur le fait que ce qui est intéressant, c’est d’avoir assez de financement pour des projets. C’est sur ce genre de chose qu’on devrait avancer, et c’est ça qui renforce les coopérations. Il faudrait que la majorité des financements soient recentrés sur l’aspect recherche, et pas tant sur d’autres aspects qui restent tout de même intéressants.

Quelles relations, vous et votre équipe, entretenez avec les universités partenaires UniGR ?

Ça a été plutôt ponctuel. Sachant qu’il existait le programme UniGR, j’ai entrepris une coopération avec Rita Bernhardt à Sarrebruck. On a travaillé et produit un article ensemble. Par ailleurs, d’autres chercheurs de la faculté de médecine de l’université de la Sarre travaillent sur des thèmes proches des nôtres. Enfin, le travail que mon collègue Nicolas Rouhier a entrepris avec l’Université de Kaiserslautern devrait bientôt porter ses fruits. Et une chercheuse allemande de Bonn va peut-être venir ici. Les choses s’améliorent au fil des années, cela est dû en partie à la Grande Région, mais surtout aux prix Humboldt que Nicolas Rouhier et moi-même avons obtenus. Ces prix nous ont beaucoup aidés financièrement pour partir en Allemagne.

Auriez-vous quelques conseils pour les chercheurs envisageant un séjour de recherche ou une coopération transfrontalier (ère) / international(e) ?

Il faut tout d’abord choisir le bon moment pour partir, notamment si on a une vie de famille. Quand je suis parti à l’étranger, mes enfants sont venus avec moi, et j’ai dû trouver un établissement pour les scolariser sur place. Cela dépend aussi de la curiosité, du statut social… Lorsqu’on n’a pas d’attache, c’est facile de se déplacer mais certains n’aiment pas spécialement être mobile, ça dépend de chacun. Personnellement, j’aime bien aller voir comment ça se passe ailleurs. Quand on a des enfants déjà scolarisés, ce n’est pas du tout la même chose, j’aurais peut-être beaucoup plus hésité si ça avait été mon cas. Pour motiver des chercheurs à effectuer une mobilité, l’aspect financier est très important. Si on veut améliorer les choses, il faut qu’il y ait des capacités financières qui soient proposées, au minimum comme  vous l’avez fait pour mon collègue, Nicolas Rouhier. En France, il faudrait réfléchir aux  financements et à de meilleures infrastructures afin de pouvoir accueillir les gens, proposer des solutions pour la garde des enfants, etc., je pense que c’est indispensable.

Interview réalisée par Marie-Caroline DEVIGNE (chargée de communication DRIE) et Romuald GORNET (stagiaire DRIE/UniGR)

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