Carole Bisenius-Penin est maître de conférences au Centre de recherche sur les médiations (CREM), ses travaux portent sur la création littéraire contemporaine, ses formes de médiations (résidence d’auteurs, maisons d’écrivain, patrimoine littéraire, institutions...) et son rapport au territoire dans l'espace francophone.
Quel point commun entre une chambre cabine, le campus Lettres, la Résidence Boudonville du CROUS (centre régional des œuvres universitaires et scolaires) de Lorraine et un jeune écrivain ?
La création d’une résidence d’auteur au plus proche des jeunes.
Sous des formes variées et en l’espace de quelques années, les dispositifs résidentiels sont devenus un moyen de soutien à la création et à l’action culturelle sur le territoire lorrain.
En tant qu’outil de communication et de médiation permettant des transactions diverses entre écrivains, collectivités territoriales, opérateurs culturels et publics, la résidence offre ainsi un lieu pour demeurer, et peut-être même selon l’étymologie, de « garder la chambre ».
On peut y voir l’expérimentation originale d’« Une chambre à soi », comme une réminiscence de Virginia Woolf proposée par un établissement public en partenariat avec la Ville de Nancy et le festival Le Livre sur la Place. Pari osé ?
Une immersion en cité U
Pour la première fois, le CROUS de Lorraine héberge durant deux mois (janvier-février), un jeune auteur, une véritable plongée immersive pour Jérémy Fel.
Primo-romancier, scénariste de courts-métrages, mais aussi libraire à Rouen, Jérémy Fel manie avec talent la camera obscura en livrant une œuvre qui réfléchit et explore le mal sous de multiples directions, angles d’optique.
Son roman Les Loups à leur porte, salué par la critique est un kaléidoscope fictionnel addictif, une sorte de « grand puzzle feuilletonesque à l’atmosphère énigmatique et troublante entre Twin Peaks, Stephen King et Joyce Carol Oates » si l’on en croit l’éditeur, qui reflète sa passion pour la littérature américaine des grands espaces. La construction romanesque, entremêlant les chapitres comme autant de nouvelles indépendantes les unes des autres, offre une déambulation territoriale haletante du Kansas, à Annecy, en passant par la région nantaise ou l’Indiana.
Pour cette résidence, l’écrivain a donc exporté, délocalisé sa « chambre à soi » pour un studio en cité U. Si l’on se réfère au très bel essai de Michelle Perrot (Histoire de chambres, Paris, Le Seuil, 2009), on peut dire que ce dispositif culturel lui donne ainsi l’occasion de mettre en scène à la fois son espace personnel, son intimité créative et sa chambre ouverte alors conçue comme un « salon littéraire ».
En effet, cette résidence d’animation se décline, au contact des étudiants, sous la forme d’ateliers d’écriture, de sessions de lectures commentées et de conseils de libraire (« coups de cœur littéraires ») en itinérance dans les différents sites.
Pour l’auteur, il s’agit de lutter contre un cliché, celui du génie romantique, en montrant que la création repose sur la connaissance des œuvres des autres : « J’adore conseiller des livres, pour être écrivain, il faut être avant tout pour moi un lecteur ».
Cette médiation qui prend également la forme de l’atelier d’écriture est un moyen de rassurer les jeunes en appréhendant la littérature par le collectif. Pour Jérémy Fel, « L’atelier d’écriture de type creative writing est une approche très intéressante, mais encore mal vue en France, or elle me semble particulièrement nécessaire pour apprendre certaines techniques. L’intérêt repose aussi sur la possibilité offerte de voir comment une écriture littéraire se construit. L’idée de l’échange autour du texte paraît donc très formateur pour les étudiants ».
Un désir commun
Créer du lien, partager ensemble ses envies, ses tentatives textuelles, sa création relève d’un désir commun qui regroupe trois jours par semaine Jérémy Fel et des étudiants venus d’univers différents (gestion, lettres, informatique, médecine…) qui se sont engagés à produire une nouvelle à l’issue de la résidence.
Ce désir commun repose aussi sur un partenariat institutionnel associant le CROUS et la ville de Nancy par le biais du premier grand salon national de la rentrée littéraire. En fait, cette résidence est l’occasion de mieux saisir la politique culturelle du CROUS qui en tant qu’organisme public est essentiellement connu pour ses logements, sa restauration ou ses bourses.
Outre le soutien financier apporté à la réalisation de projets étudiants dans le domaine culturel, le réseau mène des actions avec pour objectif de « développer les pratiques artistiques amateurs » et de favoriser « l’émergence de nouveaux talents ». Ainsi, pour Jean-François Tritz, chargé du Pôle communication, culture et animations du CROUS Lorraine, « la résidence constitue un moyen de renouveler la dynamique culturelle, de faciliter l’accès à la littérature qui trouve tout son sens à Nancy, en lien avec le salon Le Livre sur la Place ».
Le salon,(Cette manifestation littéraire) dont les organisateurs militent depuis 1979 pour la promotion de la littérature, facilite la mise en relation entre le CROUS et les auteurs, notamment grâce à la médiation de Françoise Rossinot. En tant qu’opérateur et lieu de médiation littéraire, le salon(le festival), qui se définit comme une fête du livre accessible à tous partage ce désir de renforcer les relations entre jeunes auteurs et publics estudiantins.
Une culture de proximité
Pour les partenaires, il s’agit ainsi de mettre en place une culture de la proximité cherchant à élargir les représentations et à favoriser une expérience littéraire pouvant constituer un autre modèle d’intervention publique grâce à la résidence d’auteurs.
D’après Jean-François Tritz encore, cette culture de proximité passe par « une volonté d’apporter la littérature à la sortie de la chambre de l’étudiant », tandis que pour Françoise Rossinot, Commissaire générale du salon, « l’enjeu est d’avoir accès à la culture d’une autre manière, dans le rapport immédiat à l’écrivain ».
Ce partenariat s’inscrit d’ailleurs pour elle dans les objectifs du festival qui ne se limite pas au salon de septembre, mais qui propose durant toute l’année des rencontres avec les auteurs dans de multiples lieux (prison, écoles, maison de retraite, quartiers…).
Cette proximité souhaitée dans le cadre du dispositif résidentiel nous renvoie à l’analyse de Gisèle Sapiro sur la démocratisation culturelle et plus spécifiquement sur la nécessité de retisser des liens, « de créer les conditions d’une écoute réciproque, par-delà les hiérarchies sociales ».
Sans rentrer dans les débats actuels sur la place des jeunes dans la société française, on ne peut donc que se réjouir de la création d’une nouvelle résidence d’auteurs dans la région Grand Est, soucieuse de « l’émergence de nouveaux talents » qui reconnaît la jeunesse comme une véritable ressource pouvant participer et construire le monde (littéraire) de demain.
Carole Bisenius-Penin, Maître de conférences Littérature contemporaine, CREM, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.