Repenser nos partenariats en Afrique sub-saharienne

 
Publié le 24/01/2021 - Mis à jour le 5/05/2023

Factuel a rencontré Karl Tombre vice-président en charge de la stratégie européenne et internationale et Jean-Louis Morel, professeur émérite à l'Université de Lorraine, qui a pendant plusieurs années été chargé de mission à la stratégie internationale de l'université. Tour d’horizon de la politique de partenariat avec l’Afrique et des nouvelles stratégies de collaboration avec ce continent de demain.

Factuel : comment faire évoluer nos partenariats avec l’Afrique ?

Jean-Louis Morel : « Les universités françaises ont une tradition de partenariat avec l'Afrique sub-saharienne, en particulier les pays francophones. Mais aujourd’hui, nos réflexes et habitudes s'accommodent mal des rapides évolutions du continent africain, au risque d'avoir une approche qui soit rapidement obsolète. L’Afrique occupera une place croissante dans le futur espace mondial de la recherche et de la formation. Fortes de nos partenariats historiques, nos universités ont quelque légitimité à contribuer à ces évolutions. Pour ce faire, nous devons dépasser nos conceptions des relations internationales avec des pays actuellement « en devenir ». Nous devons également dépasser cette vision utilitaire au seul profit (à court terme) des universités des pays riches, pour s’inscrire dans de véritables partenariats sur la durée, équilibrés, visant le co-développement. »
 
Karl Tombre : « Nous devons aussi investir dans une coopération qui fait des questions environnementales en lien avec la santé humaine une priorité majeure. Pluridisciplinaires par essence, il nous faut imaginer dès maintenant ce que pourraient être, dans le futur, les grands programmes de recherche et de formation coordonnés par des laboratoires d’universités africaines. Nous devons aussi poursuivre l’articulation entre développement économique et ESR dans ces pays. Coopérer avec des universités africaines doit être l’occasion de stimuler l’innovation, d’ouvrir de nouveaux champs scientifiques et socio-économiques, d’inciter au développement de circuits courts et à la création de joint-ventures, faisant la part belle à l’entrepreneuriat et associant des start-up françaises et des start-up africaines. Autant de bénéfices mutuels. Nous devons aussi intégrer à notre positionnement les profondes mutations des relations géopolitiques et garder en vue le monde qui est en train d’émerger. Il est illusoire de penser que nous sommes toujours prioritaires en Afrique francophone ; l’apprentissage de l’anglais (et du chinois) sont solidement en place depuis plusieurs années. »
 

Factuel : Quelle est la situation en Afrique en matière de talents et de potentiels de recherche ?

Jean-Louis Morel : « De par sa démographie, de par ses ressources, de par la qualité de son système d’enseignement primaire et secondaire – malgré les carences et déficits qu’elle peut encore connaître - l’Afrique est à bien des égards le continent de demain, un réservoir exceptionnel de talents et de potentiel scientifique. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’on voie se multiplier de grands savants africains travaillant et développant la science dans leur propre pays, et des équipes de recherche de référence sur ce continent. »
 
Karl Tombre : « Quand nous développons des partenariats avec l’Afrique, cela doit donc être pour contribuer à ce développement-là, pour que nos universités soient dès le départ des partenaires reconnus et solides. C’est la seule équation gagnante pour tous, car l’Afrique va se développer et va devenir de plus en plus attractive pour ses propres élites ; la question est de savoir si cela se fera en partenariat avec nous ou à notre détriment… Le modèle institué entre autres par la Chine pour assurer le retour au pays du plus grand nombre de ses meilleurs talents s’appliquera très certainement de manière progressive à l’Afrique. Nous devons l’anticiper ! »
 

Factuel : Quelques idées pour des partenariats structurants ?

Jean-Louis Morel : « À l'Université de Lorraine, nous avons réfléchi à revoir nos pratiques pour nous conformer aux grands principes décrits ci-dessus. Nous partons d'une situation riche, avec de très nombreuses collaborations existantes avec des établissements d’enseignement supérieur de l’Afrique subsaharienne. Ces coopérations ont permis des échanges réguliers d’étudiants, enseignants-chercheurs, de mises en place de doubles diplômes, de thèses en cotutelle ou co-direction dans plusieurs domaines scientifiques. Il s’agit maintenant d’aller plus loin et de réinventer nos modalités d’intervention et de partenariat. L’idée de base est de développer un concept global « partenariat privilégié » avec quelques universités africaines en se fondant sur les grands défis socio-économiques et environnementaux sur lesquels se positionne notre université, en fonction des points forts et attentes du partenaire africain. Ainsi, on pourrait avoir un partenariat orienté « énergies renouvelables », un autre « forêt bois », un autre encore « agro-ressources », etc. »
 
Karl Tombre : « Pour chacun de ces partenariats privilégiés, l’UL s’investirait sur un ensemble d'actions comprenant :
Un accompagnement en ingénierie pédagogique pour développer des formations professionnalisantes des universités partenaires aux niveaux DUT, BUT, L, M, diplômes d’ingénieur, doctorat. L’idée est donc de permettre le développement de leurs diplômes. Les universités partenaires doivent rester aux commandes de leur cursus et en porter l’ambition ; mais nous pouvons offrir la possibilité pour certains étudiants de venir chercher une formation complémentaire à l’UL, pour certaines spécialités, et en ayant l’ambition de proposer à terme un montage symétrique, où des étudiants UL intégreraient dans leur parcours des séjours dans l’université partenaire. C’est là le sens même d’un double diplôme.
L’accompagnement du partenaire dans une dynamique de développement de compétences transversales (soft skills), comprenant un programme entrepreneurial qui accompagnerait la mise en place et la montée en puissance de sensibilisation et formation à l’entrepreneuriat, en tenant compte du contexte de l’établissement et du pays partenaire. Une vision partagée et des programmes communs sur la sphère culturelle francophone, incluant les dimensions culturelle, civilisationnelle et linguistique, pourrait compléter le dispositif, ainsi que le développement d’une connaissance partagée du contexte économique et juridique propre à l’espace francophone, via l’économie et le droit, notamment.
L’accompagnement du développement de collaborations scientifiques avec un ou deux laboratoires de l’UL et l’université partenaire, pour co-construire avec eux une recherche de niveau international dans un nombre limité de domaines liés au typage du partenariat. Dans ce contexte, il faut prévoir le fléchage de contrats doctoraux pour de la cotutelle, et l'échange dans les deux sens d’étudiants et de doctorants UL pour des séjours dans les laboratoires du partenaire.
Chaque fois que possible, tout cela doit se faire en association avec des entreprises du pays en veillant à ce que cela contribue au développement socio-économique dans le pays cible... »