L'impact des conditions climatiques et de la saisonnalité sur le Covid-19

 
Publié le 21/09/2020 - Mis à jour le 5/05/2023

Rencontre avec Olivier Damette, professeur en sciences économiques au laboratoire BETA. Il travaille sur l'impact des conditions climatiques et de la saisonnalité sur le Covid-19. Il démontre que le climat a surtout un impact indirect via les comportements humains et que la mobilité amoindrit l'effet physique direct.

Factuel : Les conditions climatiques et la saisonnalité ont-elles un impact sur le Covid-19 ?

Olivier Damette : "Les résultats de la littérature sont assez contrastés. Il existe des travaux en laboratoire qui montrent que le virus résiste mal à certaines conditions: hautes températures et humidité relative notamment . Mais on ne retrouve que rarement ces résultats en conditions réelles. L'effet de la saisonnalité serait donc de faible ampleur par rapport aux conditions auxquelles nous sommes exposées dans les pays de l'OCDE. Par ailleurs, il existerait des non-linéarités : autrement dit, l’effet d’une température de 15 degrés serait proportionnellement faible comparativement à celui d’une température de 50 degrés. Il fait très chaud actuellement mais l'effet physique direct sur le virus est probablement marginal. Nous trouvons avec mes collègues Clément Mathonnat de l'UL et Stéphane Goutte de Paris-Saclay que les conditions d'ensoleillement (UV) peuvent réduire le virus de manière directe. C'est un résultat nouveau. Mais l'effet serait quantitativement très faible. Ainsi, penser qu'il suffit qu'il fasse beau et que l'on soit dehors pour éviter de porter le masque - et ainsi davantage interagir socialement - est une erreur. Pourtant, en reprenant des historiques de données épidémiologiques qu'ils croisent avec des données climatologiques, de nombreux travaux montrent qu'il existerait des effets négatifs des conditions météorologiques sur le virus. Par exemple, des conditions plus chaudes et humides nous protégeraient du virus, suggérant ainsi l'existence d'une saisonnalité avec une baisse de l'épidémie en saison "chaude". "
 

Factuel : Quels en sont les conclusions plus originales issues de votre travail ?

Olivier Damette : "Les résultats précédents, notamment statistiques, sont à nuancer selon nous et résulteraient probablement de l'existence de différents biais méthodologiques (statistiques et économétriques): absence de variables de contrôle, biais de sélection, absence de certains variables météorologiques, etc. Après avoir travaillé durant le printemps dernier sur la relation entre la pollution et la Covid-19, nous avons voulu corriger les biais statistiques liés aux périodes de confinement imposées en cherchant une variable qui capterait la mobilité individuelle (nos déplacements en quelque sorte). En faisant cela à partir des données satellites des téléphones portables fournies par Google ou Apple, on a constaté que la causalité entre la pollution et le virus était bi-directionnelle et non pas celle que l'on croyait. En effet, alors que certaines études avançaient que la moindre pollution de l'air réduisait la propagation du virus, c'est en fait la forte activité du virus qui imposait un confinement et donc une réduction de la pollution durant certaines périodes (causalité inverse). Il fallait donc relativiser l'hypothèse qu'une meilleure qualité de l'air dans certaines zones réduirait l'incidence du virus. L'idée a donc été d'incorporer cette variable dans un modèle empirique Covid/climat et c'est ce qui fait l'originalité du présent travail. Au-delà des modèles économétriques en panel dynamique que nous utilisons et qui sont appliqués pour la première fois dans cette littérature. Lorsque l’on incorpore les données de la mobilité individuelle, on peut dans ce cas prendre en compte deux effets du climat. Un effet direct comme le font les autres études, mais aussi un effet indirect par le biais des déplacements. Ces deux effets ont été confondus jusqu’à présent dans la littérature, alors qu'ils peuvent se compenser. Ce n'est pas l'effet direct du climat qui joue le plus sur le virus, mais bien l'effet indirect, via nos déplacements. S’il pleut, s’il fait froid, s’il y a du vent, cela va affecter nos manières de nous déplacer, de sortir, de nous rassembler et donc de nous contaminer. Si l'effet direct négatif du climat sur le virus existe, au moins partiellement, il peut être compensé par un effet indirect qui a tendance à renforcer l'épidémie. Lorsqu'il fait beau et chaud et que l'on va à un concert de 5000 personnes en plein air sans masque, le climat favorable augmente le nombre de cas de contamination et ne réduit aucunement l'épidémie. De même, dans des pays comme les USA, qui utilisent massivement l'air conditionné, ces conditions climatiques forcent les gens à rester chez eux avec la climatisation dont on sait qu’elle peut accroître la transmission par le manque de renouvellement de l’air. Ce qui peut là encore contribuer à propager le virus d'une autre manière. Au final, la saisonnalité n'existerait donc pas. C'est surtout la manière dont les conditions climatiques modifient nos comportements sociaux qui doit être analysée."
 

Factuel : Quelles sont les actions possibles que nous pourrions mener pour nous protéger davantage ?

Olivier Damette : "De mon point de vue de chercheur en sciences sociales (avec une expertise en modélisation statistique) et non d’épidémiologiste, les implications en termes de politique publique de mes travaux confirment qu'il est nécessaire de favoriser le plus possible la distanciation sociale ainsi que le port du masque. Ce dernier devrait être généralisé à l'intérieur comme à l'extérieur des habitats. Cela neutraliserait les effets d'interaction sociale pouvant notamment fluctuer au gré des conditions climatiques. Que nous soyons proches les uns des autres dehors quand il fait beau à un concert ou à l'intérieur quand il pleut et qu’il fait froid, nous nous contaminons si nous ne pouvons faire barrière au virus. Le port du masque et la distanciation sociale (ces deux mesures ne sont pas substituables mais complémentaires à l'intérieur des habitations comme à l’extérieur) devraient être encouragées en réunions privées et familiales car c'est probablement là que la contagion se fait le plus. Les conditions d'âge, enfin, pourraient être assouplies car l'OMS n'a pas de position définitive sur la tranche des 6-11 ans et de nombreux pays encouragent le port du masque dès 6 ans ou moins."