[Découverte] Le faible impact des glaciations quaternaires sur l'érosion de l'Himalaya

 
Publié le 3/06/2020 - Mis à jour le 2/05/2023

Des chercheurs du CRPG (CNRS/Université de Lorraine), en collaboration avec le CEREGE, ont démontré que l’érosion de l'Himalaya est gouvernée en premier lieu par les mouvements tectoniques, ce qui limiterait l'impact des changements climatiques sur la formation des paysages himalayens. Leur étude a été publiée dans la revue anglaise Nature Geosciences le 1er juin 2020.

Conséquence de la collision entre les plaques indienne et eurasiatique, l'Himalaya offre des paysages spectaculaires, dont les sommets les plus hauts du monde et de profondes vallées. Lieu d'intenses précipitations saisonnières, les pluies de mousson, ces paysages sont de plus recouverts de glaciers au-delà de 5000 m. Ces conditions climatiques s’ajoutant à un soulèvement tectonique actif, les rivières et les glaciers himalayens entraînent leur érosion extrême. Au fil des cycles climatiques et glaciaires du quaternaire (0 - 2.6 Millions d’années), les glaciers ont subi de nombreuses phases d’avancée et de retrait, tandis que les rivières ont vu leur débit également fluctuer. Les variations induites de l’efficacité de ces deux agents de l’érosion ont pu affecter la vitesse à laquelle ces paysages s'érodent. D'autre part, les glaciers ont été en moyenne beaucoup plus étendus durant le quaternaire, cette extension majorée étant suspectée avoir entraîné une forte augmentation de l’érosion dans les chaînes de montagnes. Mais les indices devant permettre de vérifier ces hypothèses sont rares en Himalaya, car les séismes, les glissements de terrain et l'incision des rivières effacent rapidement les traces du passage des glaciers.

Des échantillons de sédiments prélevés à moins 1200 mètres sous l'océan

Nos chercheurs ont débuté l’étude de cette érosion, en réalisant un forage sous-marin en 2015 initié par C. France-Lanord (Université de Lorraine, CNRS, Centre de Recherches Pétrographiques et Géochimiques - CRPG), en collaboration avec l’University of Bremen (Allemagne). Les prélèvements ont ensuite été analysés par des chercheurs du CRPG avec des chercheurs du Centre de Recherche et d'Enseignement de Géosciences de l'Environnement (CEREGE, Université Aix-Marseille, CNRS, IRD, INRAE, Collège de France), dans le cadre de la thèse de Sébastien Lénard, doctorant au CRPG. Pour estimer le taux d’érosion, ils ont mesuré la concentration en béryllium 10 (10Be) accumulé dans les cristaux de quartz constitutifs de ces sédiments. Le 10Be est un nucléide cosmogénique, c'est-à-dire un nucléide produit lors de l’interaction nucléaire entre les particules très énergétiques issues du rayonnement cosmique et les atomes des minéraux des roches présentes à la surface de la terre. La production de ces nucléides dans les minéraux dépend directement de leur profondeur sous la surface terrestre. L’accumulation des nucléides cosmogéniques dépend directement du taux d’érosion de la surface : pour une surface qui s’érode vite, la roche se rapproche rapidement de la surface et ses minéraux n’ont pas le temps d’accumuler une forte concentration en 10Be. La mesure de la concentration en 10Be des échantillons de sédiments prélevés a été réalisée à l'aide d'un instrument unique en France dédié à la mesure des nucléides cosmogéniques en très faibles concentrations : le spectromètre de masse par accélération (AMS) instrument national ASTER situé au CEREGE. 
 

Un résultat inattendu

De façon très inattendue, les taux d'érosion obtenus sur la période étudiée des 6 derniers millions d’années sont en moyenne très proches des taux d'érosion actuels en Himalaya, autour de 1 mm/an. Elles ne présentent aucune tendance à la hausse ou à la baisse à la transition du quaternaire, et ce, en dépit de l’augmentation marquée de l'extension des glaciers et de l'érosion glaciaire en Himalaya depuis cette transition. Ces résultats suggèrent que l’érosion de l'Himalaya est gouvernée en premier lieu par les mouvements tectoniques, ce qui limiterait l'impact des changements climatiques sur la formation des paysages himalayens.
 
Légende photo : La majestueuse pyramide du Machapuchare (Fish Tail) dominant du haut de ses 7000 m les collines boisées du bas Himalaya (credit : Jérôme Lavé).
 
References
Sebastien J.P. Lenard1*, Jérôme Lavé1, Christian France-Lanord1**, Georges Aumaître2, Didier L. Bourlès2***, Karim Keddadouche2, 2020. Steady erosion rates in the Himalayas through late Cenozoic climatic changes. Nature Geoscience (1er juin 2020 16:00 GMT).
 
1 Université de Lorraine, CNRS, CRPG, Nancy, France.
2 Université Aix-Marseille, CNRS-IRD-Collège de France, UM 34 CEREGE, Technopôle de l'Environnement Arbois-Méditerranée, Aix-en-Provence, France.