Une alliance de mécaniciens et de biologistes pour soigner les lésions cartilagineuses

 
Publié le 16/06/2014 - Mis à jour le 31/10/2014
Culture de cellules souches en laboratoire.

Lorsqu'il est endommagé, par exemple par des maladies dégénératives telles que l'arthrose, le cartilage n'est pas en mesure de se régénérer. Alors comment réparer une lésion dans le cartilage sans devoir installer une prothèse au patient ? « La matrice cartilagineuse est constituée de plusieurs strates [voir le schéma] dont les cellules présentent des caractéristiques différentes, adaptées aux sollicitations mécaniques dont elles sont l'objet » explique Rachid Rahouadj, professeur au Laboratoire Energétique et Mécanique Théorique et Appliquée (LEMTA). Voilà pourquoi des mécaniciens collaborent avec les biologistes du laboratoire d'Ingénierie Moléculaire et Physiopathologie Articulaire (IMoPA). « Nous avons besoin d'un support dans lequel cultiver les cellules. Ce biomatériau doit combler une lésion et se résorber à mesure que la nouvelle matrice tissulaire se développe » poursuit Céline Huselstein, maître de conférences à l'IMoPA et porteuse du projet BiMIO, lauréat de l'appel Projets Exploratoires Premier Soutien (PEPS Mirabelle 2014) organisé par l'Université de Lorraine et le CNRS.

- Céline : J'ai pris des cours de mécanique...
- Rachid : ...et moi de biologie

La collaboration des deux laboratoires est ancienne. Comme le relate l'Histoire du LEMTA :

C'est sur le viscosimètre de Couette récemment acquis par le LEMTA que Jean François Stoltz, Ingénieur des mines puis professeur à la faculté de médecine de Nancy [IMoPA], fera ses premières mesures rhéologiques sur le sang humain. S'en suivra une longue collaboration avec le LEMTA qui perdure aujourd'hui.

Pour sa part, Rachid Rahouadj (LEMTA) a commencé par travailler avec Jean François Stoltz et Xiong Wang (IMoPA) autour de questions très concrètes liées au fonctionnement des tendons. Il souligne que rapidement « les mécaniciens ont trouvé leur compte : dans ces projets nous ne sommes pas de simples auxiliaires des biologistes. Nous avons de réelles opportunités de publication scientifique dans notre discipline. » Preuve en est l'essor de thèses en coencadrement et de copublications dans les revues scientifiques. Actuellement, le biomécanicien travaille aussi à concevoir des biosubstituts pour remplacer des ligaments croisés :

« C'est comme un mille-feuille »

Tout comme pour les ligaments, le projet BiMIO consiste à concevoir un bioréacteur (c'est à dire un support mécanique) pour accueillir cellules souches et biomatériau. Dans un environnement dépourvu d'oxygène, cet appareil devra offrir les mêmes sollicitations mécaniques (en l'occurrence de frottement et de compression) que celles d'une articulation mobile afin de diriger la différenciation cellulaire.

La forme optimale de la structure du biomatériau qui accueillera les cellules reste à déterminer. Celui-ci devra offrir les mêmes propriétés mécaniques tout au long de son évolution [exemple de tests de compression] jusqu'à sa totale résorption au profit de la matrice cellulaire saine et fonctionnelle. En revanche, le matériau utilisé est bien connu des cuisini(ers/ères) : il s'agit d'alginate [voir photo]. Grâce aux résultats d'un projet ANR (Agence Nationale pour la Recherche) antérieur, les chercheurs savent utiliser des couches de polyélectrolytes comme « colle » entre des couches d'alginate renfermant les cellules souches... « Comme un mille-feuille » plaisantent en coeur les deux chercheurs. [voir le schéma]

La route est encore longue

Les enjeux de santé sont importants : nombre de patients rêveraient de bénéficier d'un tel traitement. Mais la route est encore longue avant de pouvoir mener de premiers essais cliniques. Au terme d'une année de recherche financée grâce au dispositif PEPS, les chercheurs escomptent disposer d'un prototype de bioréacteur et avoir établi les manipulations à même de solliciter et générer les cellules cartilagineuses. Les cellules souches utilisées sont prélevées dans la matrice du cordon ombilical (la Gelée de Wharton), dont l'obtention est bien plus aisée que celui de la moelle osseuse.