PAUSE : un dispositif pour les scientifiques en exil

 
Publié le 15/03/2019

Le Programme national d’aide à l’accueil en urgence des scientifiques en exil (PAUSE), créé le 16 janvier 2017, accorde des financements incitatifs aux établissements d’enseignement supérieur et aux organismes de recherche publics projetant d’accueillir des scientifiques en situation d’urgence et les accompagne dans leurs démarches. Factuel est allé à la rencontre de Manuel Rebuschi, enseignant-chercheur, et Philippe Nabonnand, directeur des Archives Henri Poincaré, pour nous en dire plus, ainsi que Siyaves Azeri, chercheur accueilli au sein de leur laboratoire depuis 2018 et bénéficiaire du dispositif alors qu’il était menacé dans son pays d’origine.

La Conférence des Présidents d’Universités (CPU) a publié le 5 mars un communiqué où elle se déclare « solidaire des universitaires turcs poursuivis pour des faits d’opinion ». Que se passe-t-il dans les universités en Turquie ?

Manuel Rebuschi : En janvier 2016, 1128 universitaires ont signé une pétition pour la paix qui appelait à la fin des opérations militaires contre les civils et qui dénonçait la violation par l’État turc des droits élémentaires dans les villes kurdes. Il s’agissait de l’expression d’une opinion pacifiste que le gouvernement d’Erdogan a assimilé à un soutien au « terrorisme », puisque c’est ainsi qu’il qualifie la résistance kurde. Depuis, la vie de ces universitaires a basculé. Beaucoup ont été licenciés par les universités où ils étaient en poste, privés de revenu et de protection sociale, leurs passeports confisqués pour les empêcher de partir à l’étranger. Le coup d’Etat manqué du 15 juillet 2016 a accéléré le processus, et la révocation des signataires de la Pétition pour la paix s’est étendue, parallèlement à celle de dizaines de milliers de fonctionnaires. Le régime condamne ces universitaires à une forme de « mort civile » puisqu’il leur est évidemment impossible de trouver un emploi public, mais aussi dans les entreprises privées qui craignent des mesures de rétorsion.

À partir de décembre 2017, cette répression administrative s’est doublée de procès judiciaires. Jusqu'à présent, la moitié environ des signataires sont passés au tribunal avec des condamnations inégales bien que tous aient commis le même « crime », à savoir la signature de la pétition. La plupart ont été condamnés à 15 mois de prison, et depuis décembre 2018 certains sont condamnés à 27 ou 30 mois d’emprisonnement, donc au-delà de deux ans, ce qui empêche de demander de commuer ces peines en cinq années de sursis. Le 1er mars dernier, Füsun Üstel, professeure retraitée de science politique à l’université francophone de Galatasaray à Istanbul, condamnée à 15 mois d’emprisonnement, a vu son appel rejeté : elle devrait être la première universitaire derrière les barreaux. Neuf autres universitaires attendent également leur jugement en appel.

Devant l’urgence de la situation, le dispositif PAUSE a permis d’accueillir plusieurs universitaires en France. L’université de Lorraine héberge ainsi un chercheur, Siyaves Azeri, depuis le mois de janvier 2019. Pouvez-vous nous présenter le dispositif PAUSE ? Pouvez-vous nous présenter également le programme de recherche dans lequel intervient Siyaves Azeri ?

Philippe Nabonnand : Lancé officiellement le 16 janvier 2017, le programme PAUSE a pour mission d’aider l’accueil dans des laboratoires de chercheurs en butte à la répression « sur des périodes suffisamment longues pour permettre leur intégration et assurer la continuité de leurs travaux ». PAUSE est géré et hébergé par le Collège de France. Il y a plusieurs appels à candidatures par an.

Une fois établie l’urgence de la situation, les dossiers sont évalués sur leur qualité scientifique en tenant compte des conditions d’une bonne intégration dans le laboratoire demandeur. Quand une candidature est retenue, le programme PAUSE contribue à cofinancer le salaire du chercheur retenu. Localement, il faut souligner le soutien actif et l’aide efficace de la Direction de la Recherche et de la Valorisation et de la Direction des Relations Internationales et Européennes, que ce soit au moment de constituer le dossier ou pour accueillir Siyaves Azeri.

Comme signalé dans la présentation du programme PAUSE, « au-delà du devoir éthique face à des situations individuelles souvent dramatiques, la solidarité avec les scientifiques étrangers en situation d’urgence constitue une ressource de savoirs d’un intérêt majeur pour le monde académique et la recherche scientifique ». C’est indéniablement le cas avec Siyaves Azeri qui était loin d'être un inconnu aux Archives Henri Poincaré, ne serait-ce que parce qu’il est membre du comité scientifique de Philosophia Scientiae, la revue portée par le laboratoire. Son intégration a été aisée et il contribue à plusieurs directions de recherche des axes 2 et 3 du projet du laboratoire comme l'histoire de la philosophie allemande, les philosophies de l'histoire, l'épistémologie sociale, les questions de circulation des sciences et l'épistémologie des sciences humaines et sociales, la philosophie politique.

Monsieur Azeri, pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours et sur les raisons de votre collaboration avec les Archives Henri Poincaré ?

Siyaves Aazeri : Je suis l’un des 1128 signataires de la pétition pour la paix. J'ai personnellement été licencié par le décret-loi 679 du 6 janvier 2017 avec 36 autres collègues de l'Université Mardin Artuklu, où j’étais en poste au sein du département de philosophie depuis novembre 2013.  Compte-tenu des circonstances, il est quasiment impossible pour les universitaires licenciés de poursuivre leurs recherches en Turquie. Certains ont essayé de créer des « académies de solidarité » et ils ont réussi dans une certaine mesure, mais ils sont encore loin de pouvoir en vivre.

J'ai eu la chance d’avoir une double citoyenneté, ce qui m'a permis de quitter le pays en août 2017. Dès que j'ai appris l'existence de PAUSE en février 2017, j'ai postulé au programme, ma candidature a été retenue et j'ai été hébergé pendant un an par l'ENS à Paris. Après ma première année, j'ai à nouveau postulé avec le soutien des Archives Henri Poincaré et de l’Université de Lorraine, et ma candidature a été acceptée. Le projet sur lequel je travaille concerne l'élaboration d'une critique marxiste de l'épistémologie. Il s'agit d'un projet interdisciplinaire qui relie philosophie, histoire des sciences, épistémologie des sciences, sociologie des sciences et histoire de la connaissance. Ces disciplines sont au cœur du projet des Archives Poincaré, qui offrent ainsi un environnement intellectuel tout à fait stimulant et favorable, mais aussi une ambiance de sérénité idéale pour mon travail de recherche.

Pour en savoir plus sur le programme PAUSE